Comprendre le projet de modernisation de la loi sur les langues officielles avec François Larocque
Crédit visuel : Université d’Ottawa
Entrevue rédigée par Marina Touré — Co-rédactrice en chef
Après trois ans de consultation et une élection, le projet de loi C-13 approche maintenant la fin du processus législatif à Ottawa. François Larocque est titulaire de la Chaire de recherche sur les droits et enjeux linguistiques et intervenant dans la consultation du projet pour moderniser la Loi sur les langues officielles. Il s’est entretenu avec La Rotonde pour discuter de ce que promet le projet de loi et de son futur une fois qu’il sera adopté.
La Rotonde (LR) : Qu’est-ce qui a mené au projet de modernisation de la loi ?
François Larocque (FL) : Lors des élections de 2015, les différents partis politiques se sont engagés à moderniser la Loi sur les langues officielles une fois élue. Il s’en est suivi une période de consultation publique jusqu’en 2021. Le gouvernement a ensuite proposé un cahier de réformes qui prenait en compte les erreurs de la Loi.
Le modèle du bilinguisme est basé sur l’égalité du français et de l’anglais comme dans l’article 16 de la Constitution. Cependant, ce n’est pas la réalité sur le terrain puisque le français est une langue minoritaire. La grande réforme dans cette nouvelle orientation vise à prendre en compte cette réalité. Le Canada doit mettre en œuvre une série d’initiatives pour rehausser le français par rapport à l’anglais et créer une égalité réelle et non seulement formelle.
LR : Que propose le projet de loi C-13 ?
FL : De nombreux changements ! Le projet reconnaît la vulnérabilité du français et son déclin au Canada. Les premières parties de la loi reconnaissent de nouvelles obligations du gouvernement fédéral pour promouvoir le français. L’une de ces responsabilités tombe dans le soutien effectif de l’immigration francophone à l’aide de politiques claires et chiffrées avec des indicateurs précis.
Le projet de loi clarifie aussi le rôle du gouvernement fédéral dans la continuité de l’éducation en français à tous les niveaux. Je suis intervenu dans le projet à travers un amendement que l’on peut retrouver dans le préambule du projet de loi. Il s’agit d’un rappel que la Loi à effet en tout temps, même dans les périodes d’urgence.
Il y a aussi d’autres nouveautés, y compris les amendements au poste de commissaires aux langues officielles. On lui a ajouté un pouvoir de contrainte à travers la création d’ententes de règlement avec les institutions. Cette entente de règlement peut ensuite être utilisée devant un tribunal si l’institution ne la respecte pas. Elle devient ainsi une ordonnance du tribunal.
La dernière nouveauté de cette loi concerne son application sur les entreprises privées de compétence fédérale qui exercent au Québec ou dans des régions du Canada à forte concentration francophone. On pense notamment aux banques, au secteur des transports ou encore aux télécommunications. Comme client, nous pourrons donc interagir dans la langue de notre choix et, comme employé, nous pourrons travailler dans la langue de notre choix. C’est tout un nouveau pan de responsabilité pour ces entreprises.
LR : Pourquoi est-ce que le projet a stagné durant toutes ces années ?
FL : La question de la langue a toujours été une question épineuse au Canada. Le fait qu’il y ait eu un projet de loi, des élections et ensuite un autre projet de loi fait que le processus s’est aussi étiré. Depuis que le projet de loi est devant le Parlement, le gouvernement libéral a voulu accélérer la consultation, mais les partis d’oppositions veulent plutôt une étude ligne par ligne.
Il y a aussi tout un débat au sujet du fédéralisme qui est en train de se jouer entre le gouvernement fédéral et le Bloc québécois. Ce dernier aimerait faire reconnaître la loi n° 96 qui modifie la Charte de la langue française au Québec. Bien que le projet de loi C-13 et la loi n° 96 ne soient pas si différents, reconnaître le second poserait un double risque pour le gouvernement d’Ottawa. En reconnaissant cette loi, le fédéral abdiquerait sa compétence sur la question des langues officielles dans les entreprises tout en gardant sa compétence sur tous les autres domaines.
Le deuxième risque provient du statut de la loi n° 96. Celle-ci a été adoptée en invoquant la disposition de dérogation à l’article 33. Entériner une loi qui contrevient effectivement à la Charte canadienne des droits et libertés serait donc problématique pour le gouvernement fédéral.
LR : Est-ce que le projet de loi aborde d’autres langues ?
FL : Le projet de loi de modernisation ne discute pas des autres langues à l’exception des langues autochtones. Le projet énonce dans le préambule que les efforts du Canada pour faire rayonner les langues officielles se font en parallèle et non pas au détriment des efforts pour soutenir et appuyer les peuples autochtones dans la réappropriation et la revitalisation de leurs langues.
Il y a aussi eu d’énormes progrès dans ce domaine. En 2019, une loi sur les langues officielles a indiqué l’urgence d’appuyer les communautés autochtones. Leurs langues sont à risque d’extinction. Pour les autres langues comme le mandarin, l’espagnol, ou même l’arabe on n’en parle pas encore.