Crédit visuel : Dereck Bassa – Photographe
Un éditorial rédigé par Miléna Frachebois – Co-rédactrice en chef
Black friday, Cyber monday, Boxing day… Toutes les occasions sont bonnes pour créer des moyens de consommer, qui plus est au moment des fêtes. Si à l’origine les fêtes de fin d’année invitaient à la générosité, elles ont perdu leur sens initial. Droits humains non respectés, environnement oublié et tromperies en tout genre : voilà ce qui rythme aujourd’hui la magie des vacances de Noël.
Cette surconsommation est plutôt récente. Pourquoi un tel changement ? Cette habitude de donner et de consommer de façon extrême a-t-elle une histoire ? Selon Argiro Kliamenakis, professeure de marketing à l’Université d’Ottawa, cette tradition de donner au moment des fêtes de fin d’année remonte à bien avant le 20ème siècle. Seulement voilà, la façon de redonner à son prochain ou à sa prochaine était moins matérialiste puisqu’on offrait des cadeaux faits à la main. Les progrès de l’industrialisation rapide et l’émergence de plus en plus de détaillants ont peu à peu transformé cette tradition pour en faire une source de profits.
Kliamenakis explique qu’après cela, tout s’est enchaîné rapidement, la publicité est devenue de plus en plus agressive, ce qui a permis l’émergence d’événements tels que Black Friday et Cyber Monday. Ainsi, si initialement les fêtes de fin d’année sont religieuses pour certaines communautés, elles sont devenues, ironiquement, l’apogée du matérialisme et de la consommation. Cette focalisation matérielle a sapé la véritable signification de la période des fêtes, celle de passer un moment en famille, avec ses êtres chers.
Question éthique et environnementale
L’impact de cette surconsommation n’est plus à prouver. Ces tactiques commerciales incitent à la consommation comme le précise la professeure. D’après elle, les publicités sont conçues pour provoquer et induire la fear of missing out, en nous faisant croire que nous allons passer à côté d’une bonne affaire si nous n’achetons pas lors de ces jours spéciaux. Nous achetons donc des choses dont nous n’avons pas besoin, ou que nous avons déjà.
Cette surconsommation a de grands impacts. Des niveaux élevés de consommation entraînent des niveaux élevés de production qui nécessitent l’utilisation de ressources telles que les matières premières et l’énergie. En plus des gaz à effets de serre, la chaîne d’approvisionnement génère bien sûr des sous-produits de déchets. À lui seul, le Black Friday édition 2021 générera plus de 386 000 tonnes de carbone dans l’atmosphère, soit l’équivalent d’émissions produites par 215 778 vols de vingt-et-une heures selon l’organisme à but non lucratif GROW.
Ne parlons pas des conséquences de cette surconsommation sur les droits humains. Si votre intention était d’être généreux.se, vous êtes mal parti.e. Sans le savoir, votre consommation extrême encourage la violation des droits humains. Saviez-vous par exemple que des grandes compagnies telles que Nike ou Apple font travailler leurs employé.e.s des montants d’heures astronomiques pour que vous puissiez glisser vos airpods sous le sapin ? Saviez-vous aussi que ces mêmes marques sont impliquées dans les génocides des Ouïghour.e.s, qui travaillent dans des conditions misérables, pour produire vos achats à prix cassés ?
Par employé.e.s, nous n’entendons pas que des adultes bien sûr, mais aussi des enfants. Et par travail, nous n’entendons pas un beau bureau ou un atelier de production avec air purifié, nous parlons de produits chimiques nocifs pour la santé, en plus de la fatigue, du stress lié au travail, de l’épuisement physique lié à la dureté des tâches…
Faudrait-il nuancer ?
Il faut nuancer nos propos : avant de juger les personnes qui participent au Black Friday et compagnie, il faut comprendre les raisons qui les y poussent. Rappelons que nous vivons dans une société capitaliste, dans laquelle la propriété privée et l’accumulation du capital sont maîtresses.
De cette façon, les personnes les plus défavorisées sont délaissées. On pourrait arguer que ces « fêtes de la consommation » sont un moyen pour ces personnes d’acheter des choses dont ils.elles ont besoin ou envie mais ne peuvent pas s’offrir en temps normal. Cela peut être de nouveaux vêtements, mais aussi des plus gros achats, comme de l’électroménager. Par exemple, pour les étudiant.e.s, ces événements sont des occasions de pouvoir s’acheter des choses dont ils.elles ont besoin pour l’école ou qui pourraient leur faire plaisir.
Cependant, selon l’experte en marketing, cette vision plus « égalitaire » de ces événements est à prendre avec parcimonie. Pour elle, cela fait plus de mal que de bien. En effet, ces ventes ne sont pas spécialement meilleures que celles que nous pouvons voir tout au long de l’année, mais elles sont positionnées comme telles pour donner l’impression qu’il s’agit d’offres exclusives qui n’arrivent qu’une fois par année. Elle ajoute que les personnes moins fortunées seraient parfois dupées, elles achèteraient plus impulsivement et sans réflexion. Cela finirait par les pousser à faire des achats qu’ils.elles n’auraient pas fait autrement, annulant ainsi les économies réalisées grâce aux soldes.
Peut-on réellement le boycotter ?
La liste des effets négatifs est longue, et pose la question d’une consommation plus responsable. Peut-on vraiment boycotter Black Friday et d’autres événements du genre ? Avec la pandémie, le stress financier est encore plus présent. Avec l’inflation qui s’ajoute à cela, beaucoup plus d’acheteur.euse.s doivent faire plus attention à leur portefeuille qu’avant. Ils.elles ne peuvent donc peut-être pas se permettre de refuser complètement la consommation de Black Friday.
Avoir une consommation éthique, même si elle ne peut l’être à 100 %, est un privilège. Parce qu’acheter éthique, c’est acheter plus cher. Une production éthique implique de meilleures conditions de travail et de meilleures paies. Elle signifie aussi des productions plus saines et écologiques. Le prix de production augmente, donc le prix d’achat est plus élevé. Ce n’est pas tout le monde qui peut se le permettre.
Il n’y a pas de consommation éthique sous le capitalisme car il s’agit d’un système non éthique en soi auquel on ne peut se soustraire. On peut alors se poser la question du faible poids des actions individuelles comparativement à celles des gouvernements. Car oui en tant qu’individus, nous pouvons chercher à consommer plus éthiquement, mais quel sera l’impact de nos choix individuels s’ils ne sont pas accompagnés de changements systémiques ?