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Arts et culture

Être femme, 90 ans plus tôt

Marie-Ève Duguay
9 mars 2022

Crédit visuel : Nisrine Nail- Directrice artistique 

Chronique rédigée par Marie-Ève Duguay – Cheffe du pupitre Arts et culture

Lors d’une visite récente chez ma grand-mère maternelle Denyse, celle-ci a déterré de vieux journaux personnels dans lesquels elle écrivait les moments marquants de sa vie. Inspirée par ses mots, je me suis lancée en discussion avec elle. Au cours de notre conversation, nous avons abordé plusieurs sujets, dont l’évolution de la féminité, la maternité, la place des femmes dans le milieu professionnel ainsi que la vieillesse.

Née à Ottawa en 1932, ma grand-mère y a grandi et y a élevé six enfants. Devenue veuve à l’âge de 44 ans, elle a vécu plusieurs obstacles. Elle vient pourtant de célébrer son 90ème anniversaire en février dernier et vit une vie bien remplie, malgré la pandémie. D’après ses souvenirs, il va sans dire que le monde a beaucoup changé depuis les années 1930, et la place des femmes a largement évolué. Dans l’esprit de la Journée internationale des droits des femmes,  je dois dire que je suis reconnaissante de ces changements. Quoique nous avons encore beaucoup de chemin à faire…

Monde du travail

Ma grand-mère mentionne qu’elle a eu son premier emploi payant à l’âge de 14 ans, lorsqu’elle a quitté l’école. Elle était caissière dans une épicerie locale et se faisait environ deux dollars par quart de travail. Puisque le salaire n’était pas élevé, elle pouvait garder l’argent pour elle-même, au lieu de le donner à ses parents. Contrairement à aujourd’hui, le fait de ne pas poursuivre une éducation n’était pas rare. Ma grand-mère souligne effectivement que personne de son cercle d’amies n’a poursuivi une éducation postsecondaire.

Au cours de sa vie, elle a occupé plusieurs autres postes, allant de coiffeuse à vendeuse de haches – qui était surprenant pour une femme – chez S. S. Kresge, un magasin à départements. Elle a fait sa carrière au gouvernement canadien et a voulu quitter son emploi lorsqu’elle s’est mariée en 1955.  

Son mari Roger, mon grand-père, l’aurait supporté dans sa décision de rester au travail, mais son entourage n’aurait pas réagi de la même manière. De fait, ma grand-mère explique que les femmes qui travaillaient et qui décidaient de ne pas rester à la maison suite à leur mariage « n’étaient pas bien vues dans le temps ». Elle se remémore d’ailleurs une de ses anciennes amies qui avait causé un scandale lorsqu’elle avait décidé de retourner sur le marché du travail une fois mariée.

Ma grand-mère a pourtant réintégré le monde du travail après le décès de son mari en 1976. Avec six enfants, elle partage qu’elle n’avait pas les moyens de rester à la maison. « Nous avons été chanceux.ses d’avoir une maison, mais les enfants devaient manger ! », témoigne-t-elle. Elle confie cependant qu’il était difficile d’équilibrer son emploi du temps; en plus de travailler pendant la journée, elle devait « faire la popote » et « traîner les enfants », qui ont tout de même été une grande aide pour elle. Elle assure que tous les sacrifices que son mari et elle ont faits, et qu’elle a ensuite faits par elle-même, ont valu le coût.

Portrait de mère

Parlant d’enfants, l’expérience de maternité de ma grand-mère est impressionnante, surtout d’un point de vue moderne. Lorsqu’elle parlait, je pouvais facilement imaginer son expérience dans un cahier d’histoire.

Si ses six enfants étaient bel et bien voulu.e.s, le prêtre de l’église locale avait encouragé Roger, qui avait un certain « penchant catholique », et elle à en avoir le plus possible. Elle a d’ailleurs dû demander la permission du prêtre pour arrêter d’en avoir, et celui-ci a accepté et félicité le couple d’en avoir eu autant. C’est difficile de s’imaginer cela dans notre monde d’aujourd’hui; heureusement, une telle interférence ne passerait pas aussi facilement.

C’est aussi un peu ironique de constater que l’Église faisait à l’époque autant d’efforts pour peupler le pays, alors qu’elle travaillait avec le gouvernement pour éradiquer les populations autochtones. Mais bon, je m’éloigne du sujet.

Retour au présent

Gardant tout cela en compte, ma grand-mère croit que les femmes et « les jeunes » l’ont plus facile de nos jours. Elle croit que les attentes sont moins élevées aujourd’hui et que plus de support est offert aux femmes. Je ne sais pas si c’est tout à fait vrai, mais alors que j’approche l’âge où elle s’est mariée et a eu sa première fille, je dois dire que je suis soulagée que les attentes ne soient plus les mêmes. Je ne me vois pas quitter le marché du travail d’ici tôt et fonder une famille aussi rapidement qu’elle.

À ce jour, ma grand-mère Denyse a neuf petits-enfants, et son rôle de grand-mère est « ce qu’il y a de plus important pour [elle] ». Sa plus grande fierté demeure la manière dont elle a élevé ses enfants, et ce qu’il.elle.s sont devenu.e.s. « Je ne peux pas demander mieux à personne ! ».

Malgré toute son histoire, ma grand-mère ne se considère pas comme étant une personne âgée. « J’oublie parfois, je me répète, je bégaie et j’ai les jambes un peu faibles, mais cela ne m’empêche pas d’avancer. Mon anniversaire de 91 ans, je vais le voir », affirme-t-elle. Je lui ai demandé si elle avait des conseils pour vivre une bonne vie jusqu’à 90 ans. Elle m’a répondu : « Regarde ce que j’ai fait, et fais-le ». Je ne suivrai peut-être pas son parcours à la lettre, mais au moins, j’ai un bon modèle sur qui me fier !

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