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Éditorial

Ottawa : ville étudiante non-étudiante

Aïcha Ducharme Leblanc
22 novembre 2021

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Un éditorial rédigé par Aïcha Ducharme-LeBlanc – Co-rédactrice en chef

Ville d’un million d’habitant.e.s, Ottawa a beaucoup à offrir en termes d’institutions postsecondaires, attirant chaque année des milliers d’étudiant.e.s dans ses six collèges et universités publics. Pourtant, Ottawa est-elle vraiment une ville faite pour les étudiant.e.s ?

La Rotonde a interrogé, la semaine dernière, Jeff Leiper, conseiller municipal du quartier Kitchissippi. Lorsqu’on lui a demandé s’il estimait qu’Ottawa était une ville étudiante, Leiper a répondu avec un « oui » enthousiaste. Les institutions postsecondaires font partie intégrante de notre chère Ottawa, qui en tire un profit énorme. Par contre, pour les étudiant.e.s, la capitale ne semble pas toujours très accueillante.

Transport en commun peu fiable

Il va sans dire que les transports publics sont essentiels pour une ville étudiante. Ce ne sont pas tous les étudiant.e.s qui ont le luxe de vivre sur ou près du campus. En fait, de nombreux étudiant.e.s de l’Université d’Ottawa (U d’O), comptent désespérément sur OC Transpo pour se rendre sur leur campus.

Malheureusement, comme ces dernières années l’ont bien illustré, le transport à Ottawa est un honteux problème voire un véritable chaos. Les bus sont chroniquement non fiables ; le train a changé l’itinéraire de plusieurs autobus ce qui complique ou rallonge le trajet de plusieurs usager.ères. En plus, le O-Train lui-même n’est pas fonctionnel, ce qui a été prouvé à maintes reprises avant même les deux déraillements et la crise qui s’en est suivie.

Or, ces derniers mois nous ont quand même appris que le système de transport lacunaire a un impact énorme sur la qualité de vie des usager.ère.s qui n’ont d’autre choix que de l’utiliser. Parmi ces usager.ère.s, les étudiant.e.s sont absolument surreprésenté.e.s et ont été gravement affecté.e.s par la fermeture de la Ligne 1 du train. En effet, le conseiller Leiper, qui a lui-même utilisé les autobus de remplacement R1 pendant les sept semaines d’interruption du réseau du train, constate que « ces autobus étaient bondés d’étudiant.e.s ».

Comment une ville de plus d’un million d’habitant.e.s, qui accueille des milliers d’étudiant.e.s dont le transport en commun est le mode de déplacement, peut-elle justifier un tel désastre public  ? Il semble que les étudiant.e.s et les autres personnes vulnérables soient toujours les moins bien desservi.e.s.

Logements à prix exorbitant

Lorsque les transports s’avèrent inefficaces, les étudiant.e.s ottavien.ne.s peuvent au moins compter sur un endroit abordable pour vivre, vous dites-vous ? Attendez, ce n’est absolument pas le cas à Ottawa, où un appartement dont le loyer dépasse 1000 $ par mois est un logement étudiant typique.

Quand a-t-on décidé que les étudiant.e.s ont ces moyens ? Et les propriétaires voraces sont loin d’être les seul.e.s coupables : l’U d’O exploite clairement ses étudiant.e.s en n’offrant que des logements hors-campus médiocres et excessivement chers. Que diriez-vous d’un peu de compassion pour ce groupe de résident.e.s aux revenus modestes que représentent les étudiant.e.s au postsecondaire ?

Il paraît insondable de rationaliser cette crise du logement étudiant. Après tout, l’essentiel pour un.e étudiant.e est d’avoir droit à un appartement au coût raisonnable. Leiper offre une explication : le logement du marché place les intérêts des riches propriétaires privilégié.e.s au-dessus de ceux des étudiant.e.s.

Pourquoi les élu.e.s municipaux.ales ne plaident-ils.elles pas en faveur d’un contrôle accru des loyers par la province ? Pourquoi n’investissent-ils.elles pas davantage dans des organisations comme ACORN qui défendent ceux et celles qui, comme les étudiant.e.s, sont lésé.e.s par le marché immobilier ? Pourquoi ne peuvent-ils.elles pas investir davantage dans les logements publics qui représentent une excellente alternative en Scandinavie au marché immobilier axé sur le profit ?

Leiper affirme que la Ville d’Ottawa a un rôle important à jouer dans la planification du logement et que celle-ci « veille à ce qu’un plus grand nombre d’unités domiciles soient construites afin de discipliner le marché ». Il est néanmoins indéniable que l’on n’en fait pas assez à cet égard – les logements se construisent à la vitesse d’un escargot dans la capitale nationale ! 

Nous insistons sur le fait qu’investir dans le logement ne devrait pas être un choix, afin d’éviter que les étudiant.e.s soient les victimes d’un manque d’équité.

Vie culturelle et commodités qui laissent à désirer

 Réfléchissez-y bien. Y a-t-il beaucoup d’activités à Ottawa, hors campus, qui sont destinées spécifiquement aux étudiant.e.s ? La vie culturelle est-elle vraiment abordable et promue auprès de la population étudiante ? Pas vraiment. 

Certain.e.s pourraient invoquer la fameuse excuse de la COVID-19, mais le manque d’événements culturels accessibles aux étudiant.e.s pose problème depuis un certain temps. Bien que certains musées et institutions culturelles, comme le Centre national des Arts, offrent des rabais aux étudiant.e.s, la scène culturelle d’Ottawa n’est pas très student friendly. À preuve, le site web des événements et des festivals de la Ville d’Ottawa comporte une section spéciale pour les familles. Or, le mot « étudiant.e » n’apparaît nulle part sur le site. Il ne devrait pas appartenir aux entreprises ou aux institutions individuelles de soutenir ou non les étudiant.e.s dans leur épanouissement culturel, c’est à la collectivité de la Ville qu’il incombe de le faire.

D’ailleurs, les prix scandaleux que les étudiant.e.s doivent payer pour les produits de commodités sont encore plus révélateurs du peu de considération accordée à leur présence à Ottawa. Sans même tenir compte des restaurants et bars coûteux du Marché By qui de toute évidence s’adressent aux client.e.s de classe aisée, est-il vraiment raisonnable de demander aux étudiant.e.s de payer 15 dollars pour quatre morceaux de poulet ?

Les prix des commodités ont grimpé en flèche au cours de l’année écoulée, ce qui fait que certain.e.s étudiant.e.s, parmi les plus fragilisé.e.s par la pandémie, ont même du mal à payer leur facture d’épicerie. Quoique la Ville n’ait aucune incidence directe sur les prix fixés par les entreprises, elle peut faire pression pour que des magasins tels que Loblaws ne suppriment pas leurs rabais étudiants. Ou encore, elle peut encourager davantage d’entreprises à proposer des tarifs étudiants. Mais pour cela, il faut se préoccuper du sort des étudiant.e.s…

Ottawa a acquis la réputation d’être avant tout une ville gouvernementale. C’est tout à fait vrai. Toutefois, elle ne devrait pas être construite uniquement pour les fonctionnaires qui disposent d’un revenu plus élevé et possèdent des intérêts différents du reste de la démographie ottavienne. Ottawa est aussi une ville étudiante et elle devrait offrir des prix et des activités culturelles conformes à ce fait.

Désintérêt des politicien.ne.s municipaux.ales 

La source du fonctionnement d’Ottawa comme une ville parfois hostile aux étudiant.e.s se résume au manque d’effort des dirigeant.e.s municipaux.ales. La plupart des étudiant.e.s ne pourraient même pas nommer le.la conseiller.ère municipal.e de leur quartier. Combien de fois ont-ils.elles visité le campus de l’U d’O ? Leurs visites n’étaient certainement pas notables si la plupart des étudiant.e.s n’ont toujours aucune idée de qui ils.elles sont. 

Le conseiller Leiper rappelle que, le mois passé, la Ville a approuvé son nouveau Plan officiel, un document de planification qui décrit comment celle-ci répondra aux besoins de sa population au cours des cinq à dix prochaines années. Il déplore que les personnes venues au débat pour ce plan officiel étaient pour la plupart des propriétaires blanc.he.s aisé.e.s et âgé.e.s de plus de 30 ans.

Comme il le souligne parfaitement, « ces décisions prises par le Conseil municipal affectent le plus radicalement ces [autres] personnes [les locataires à faible revenu et moins fortuné.e.s comme les étudiant.e.s]».

Les politicien.ne.s ont le devoir d’impliquer le plus grand nombre de personnes possible dans les affaires municipales, y compris les personnes comme les étudiant.e.s qui sont, certes, plus difficiles à rejoindre. À l’heure actuelle, la voix étudiante est manifestement absente des affaires municipales et cela a de graves répercussions sur la façon dont la population étudiante est desservie. Ottawa n’est pas une ville pour les étudiant.e.s parce que ceux.celles-ci ne s’intéressent pas aux questions municipales et ne sont pas non plus encouragé.e.s à le faire.

 

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