Mettre fin à la marginalisation des femmes autochtones, une conférence à la fois
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Article rédigé par Dawson Couture – Journaliste
À l’occasion de la Semaine du travail social à l’Université d’Ottawa (U d’O), l’École de service social (ESS) a reçu le 8 mars dernier la Sénatrice Michèle Audette comme invitée spéciale pour mener une conférence sur la marginalisation des femmes autochtones. En cette Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, Audette a pu élucider le rôle historique et contemporain des femmes dans la lutte pour l’égalité et la réconciliation avec les Premières Nations.
Cyndy Wylde est professeure de service social à l’U d’O et membre des communautés Atikamekw et Anicinape. Même si c’est elle qui a invité la Sénatrice Audette, elle souligne que la conférence était d’abord et avant tout une initiative étudiante. « C’est très révélateur du vent de changement qui accompagne cette génération et ces élèves en particulier », observe-t-elle.
Ces événements sont cruciaux selon Annie Mercier, coordinatrice des stages et de la formation pratique à l’ESS, car ils permettent de sensibiliser les travailleur.se.s sociaux.ales du futur aux problématiques rencontrées par les femmes autochtones, ainsi que de susciter une réflexion plus approfondie sur ces sujets, pertinents pour leur futur métier.
Une nouvelle mentore
Après la reconnaissance des terres, Wylde a débuté la conférence avec un bref survol de la carrière d’Audette. En tant que présidente de Femmes autochtones du Québec et de l’Association des femmes autochtones du Canada, ainsi qu’une des commissaires de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Audette avait beaucoup d’expériences à partager.
La Sénatrice a affirmé à nombreuses reprises sa détermination à lutter contre les injustices dont sont victimes les femmes autochtones. C’est notamment lorsque Audette a fait mention de la fermeture de la tente pour les itinérant.e.s du square Cabot à Montréal qu’elle retenait visiblement ses larmes.
Audette a fait valoir au cours de la conférence la nature inéluctable du mentorat dans les milieux autochtones. Wylde a aussi noté ce rôle de guide qu’elle et les autres mentor.e.s autochtones pouvaient jouer auprès des intervenant.es allochtones.
Un appel à la décolonisation
Les participant.e.s ont aussi eu l’occasion, lors de la deuxième moitié de la session, de poser des questions à Audette. C’est à ce moment que Mercier a allumé son microphone pour demander l’avis de la Sénatrice sur comment poursuivre une réelle décolonisation de l’ESS.
La question de Mercier s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large que l’ESS et l’U d’O explique la professeure, qui réitère ce que la Sénatrice a dit. Wylde souligne que le travail social suscite depuis longtemps la méfiance et la crainte des autochtones. Elle confirme que ce sont les politiques de l’État canadien, exécutées en partie par des travailleur.se.s sociaux.ales, qui ont mené à l’enlèvement d’enfants, à leur enfermement dans des pensionnats et à l’arrachement de leur culture. « Ce n’est pas pour rien qu’il y a si peu de travailleur.se.s sociaux.ales autochtones », ajoute-t-elle.
Pour Wylde, la question autochtone et le travail social sont intimement liés. Les expériences et les revendications des Premières Nations incluent des sujets au cœur du travail social tels que la santé mentale, l’itinérance, la détention, la violence domestique et envers les aînés. Tout au long de ces processus qui impliquent des personnes autochtones se trouvent des travailleur.se.s sociaux.ales, remarque Wylde.
Mercier soutient que les intervenant.es allochtones ont le devoir et la responsabilité de se familiariser et de respecter les cultures autochtones avant d’intervenir « afin de ne pas perpétuer le colonialisme ». C’est pour cette raison, selon la coordinatrice, que depuis 2018, l’ESS s’engage à décoloniser ses programmes. Le Cercle Kinistòtàdimin, composé de membres du personnel et de personnes autochtones, est au centre de ces efforts.
En écoutant les réponses de la Sénatrice, Wylde constate que l’ESS était « dans le bon canot ». Le plan d’action conçu par le Cercle est composé de dix objectifs pour décoloniser l’École. Ces « axes » incluent notamment l’adaptation des contenus de cours, le développement de la recherche partenariale éthiquement responsable ainsi que le recrutement et la rétention des apprenant.e.s autochtones.
La solidarité féminine
L’événement a eu lieu, au contentement de Wylde et de ses collègues, pendant la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Audette, qui a été appelée le mois dernier « née pour déranger » par Radio-Canada, a interpellé les participantes à perturber, elles aussi, le statu quo.
Audette a démontré à quel point les politiques d’assimilation et de marginalisation ont particulièrement visé et affecté les femmes autochtones. Ces expériences sont à la base de leur esprit de revendication, selon Wylde. « On est plus leader que l’Histoire nous laisse penser, nous sommes juste en train de reprendre notre place », déclare-t-elle.
Alors que certain.e.s peuvent penser que la situation des femmes autochtones s’est améliorée, Audette a souligné lors de la conférence le meurtre de Cindy Gladue en 2011. Dans le procès qui s’en est suivi, les organes génitaux de Gladue ont été présentés au jury à titre de preuve. Plusieurs ont vu dans ce procès la preuve de préjugés persistants envers les femmes autochtones en tant qu’objets sexuels.
Suite au décès de Joyce Echaquan l’an dernier, Wylde a néanmoins témoigné d’un vent de changement qu’elle n’avait jamais vu dans sa vie. Une des clés pour maintenir le momentum est, selon elle, cette solidarité féministe. Comme tout autre droit, Wylde constate que les droits des femmes et des Premières Nations ne peuvent jamais être pris pour acquis et nous conseille donc de toujours rester sur nos gardes.