Crédit visuel : Camille Cottais — Rédactrice en chef
Éditorial rédigé par Camille Cottais — Rédactrice en chef
Depuis une semaine, des étudiant.e.s manifestent pacifiquement devant le pavillon Tabaret pour demander à l’Université d’Ottawa (U d’O) un désinvestissement total de toutes les entreprises impliquées dans le génocide contre le peuple palestinien. Ce qui était à l’origine un sit-in s’est rapidement transformé en un campement à partir de mardi soir face à l’indifférence de l’administration uottavienne envers leurs revendications. En solidarité avec le campement, La Rotonde demande à l’Université de cesser de prioriser ses intérêts financiers à la justice sociale et au bien-être de la communauté universitaire palestinienne et musulmane.
Appelons un chat un chat : il ne s’agit pas d’une guerre ou d’un conflit, c’est un génocide qui se déroule sous nos yeux. Samedi, le ministère de la Santé à Gaza a déclaré qu’au moins 34 654 Palestinien.ne.s avaient été tué.e.s par l’État israélien depuis le 7 octobre dernier, un chiffre effroyable qui s’ajoute aux 77 908 blessé.e.s et plus de 1100 prisonnier.e.s. Bien sûr, ce n’est pas seulement depuis sept mois que ce génocide a lieu, mais bien depuis 1948.
Depuis octobre, de nombreuses manifestations et événements pour la libération de la Palestine se sont déroulés à Ottawa, incluant sur le campus universitaire. Les mobilisations ont donc lieu depuis plusieurs mois déjà. Lundi 29 avril, elles ont cependant gagné en importance et en visibilité suite à la décision d’un groupe d’étudiant.e.s de l’U d’O d’organiser un sit-in devant le pavillon Tabaret. Ce choix a été motivé par le « mépris répété de l’université pour nos demandes de désinvestissement » et l’ambition de faire pression sur l’administration, peut-on lire sur le canal Telegram de Popular University for Gaza uOttawa. Après deux jours d’occupation dans l’indifférence de l’Université, le sit-in s’est transformé en campement. Un mur a été construit par les organisateur.ice.s avec de la corde et des bâches en bordure de la pelouse de Tabaret, et le nombre de tentes n’a fait qu’augmenter depuis, atteignant une cinquantaine dans la nuit de vendredi dernier. Des campements similaires se multiplient à Montréal, New York, ou encore Paris.
Sur le campement, une véritable communauté s’est bâtie. On retrouve bien sûr des étudiant.e.s de l’U d’O, mais aussi de Carleton, ainsi que des syndicats et des travailleur.se.s locaux.ales. De la nourriture et des ressources sont à disposition, et de nombreuses activités sont organisées : discours, formations, séances d’art, visionnages de films, cercles de lectures, ou encore temps de prière ponctuent les journées. Pour l’instant, la police surveille les lieux sans intervenir, ce qui représente déjà une avancée par rapport à d’autres universités nord-américaines comme McGill ou Columbia, dans lesquelles la police a été appelée pour démanteler les campements.
Les actions courageuses de ces étudiant.e.s dénonçant les violations des droits humains devraient être encouragées par les universités, et non dissuadées ou interdites. M. Frémont, nous vous demandons de ne pas employer la force face à des activistes exerçant légitimement et pacifiquement leur droit de manifester, et surtout, de vous engager dans un dialogue avec INSAF pour écouter leurs demandes.
Transparence et désinvestissement
Les revendications des activistes sont on ne peut plus claires. Alex, un.e des organisateur.ice.s du campement, explique qu’elles sont au nombre de quatre. Premièrement, il est demandé à l’U d’O de divulguer une liste intégrale de ses investissements directs et indirects. Ensuite, et c’est le plus important, est revendiqué le désinvestissement complet de toutes les entreprises et institutions facilitant l’occupation de Gaza et le génocide envers le peuple palestinien. En effet, en refusant notamment de désinvestir son fonds de pension de telles entreprises (Airbus SE, Axon Enterprise, CAE Inc, Banque Scotia…), notre université est complice de ce massacre contre les Palestinien.ne.s, dont les victimes incluent les familles de certain.e.s de ses propres étudiant.e.s.
Finalement, INSAF et l’Association des étudiant.e.s palestinien.ne.s (PSA), les deux associations principales organisant le campement, souhaitent que l’U d’O rompe ses partenariats avec les institutions universitaires sionistes, tels que le programme d’échange avec l’Université de Tel Aviv, et adopte la définition du racisme anti-Palestinien.ne.s de l’Arab Canadian Lawyers’ Association. Selon un communiqué du Syndicat étudiant de l’Université d’Ottawa (SÉUO) publié samedi, adopter cette définition pourrait « favoriser des discussions productives et prévenir les attaques contre l’identité des personnes impliquées [pour la libération de la Palestine] ».
Comme le souligne l’Association des étudiant.e.s musulman.e.s de l’U d’O sur son compte Instagram, « we pay tuition to fund education, not genocide » (nous payons des frais de scolarité pour financer l’éducation, pas un génocide). Il est inadmissible que les frais de scolarité exorbitants que nous payons à l’Université financent la violence et l’injustice, et parfaitement légitime que nous revendiquions le droit de contrôler comment notre argent est utilisé.
« Les occupations ne sont pas tolérées »
Les relations entre les activistes et l’administration de l’Université restent tendues. Alex explique que le but principal du campement est de faire pression sur l’Université pour obtenir une rencontre. Initialement, une telle réunion était prévue pour le lundi 29 avril, mais l’administration l’a annulée à la dernière minute. Le 28 avril, l’Université a publié une déclaration sur Instagram, qui a provoqué la colère des manifestant.e.s pro-Palestine.
Dans ce communiqué, l’Université déclare notamment : « Bien que les manifestations pacifiques sont autorisées dans certains espaces publics du campus, conformément à nos politiques et règlements, les campements et les occupations ne sont pas tolérés ». On peut souligner l’ironie d’une université affirmant ne pas tolérer les occupations de territoires alors même qu’elle se trouve sur un territoire Algonquin non cédé et tente de censurer les activistes dénonçant l’occupation de la Palestine. Une attitude colonialiste qui contraste avec les bonnes paroles de l’Université en faveur de la réconciliation. Encore une fois, il y a un décalage entre la parole et les actes.
En plus de n’aucunement adresser les revendications des manifestant.e.s, cette déclaration de l’Université est selon Alex menaçante et sous-entend que leur protestation ne serait pas pacifique. Pourtant, il suffit de se rendre quelques minutes à Tabaret pour se rendre compte que c’est l’inverse d’une promotion de la violence qui a lieu : en plus d’être entièrement pacifiques, les activités se font sous le règne de la paix et de la solidarité, et la sécurité du groupe est une priorité. Des « marshalls » sont même présent.e.s afin de s’assurer que les individus violents restent à distance du campement, des sionistes ayant déjà menacé les activistes pro-Palestine, comme l’explique Alex.
Vendredi, l’Université a envoyé un courriel aux membres de l’Université, intitulé « mise à jour sur la manifestation », dans lequel elle réitère que l’occupation d’un bâtiment universitaire aura des « conséquences ». Selon Alex, l’Université se montre cependant dans ce courriel plus encline à reconnaître le caractère pacifique du campement, ce qu’elle juge être un progrès.
Une véritable censure institutionnelle
Notons que ce n’est pas seulement la liberté de manifester qui est actuellement menacée par l’Université, ce sont également les libertés académique et d’expression, les cas de censure et de sanctions contre des étudiant.e.s et professeur.e.s pro-Palestine se multipliant depuis octobre à l’U d’O. Le cas le plus grave a été celui du Dr. Yipeng Ge, suspendu en novembre 2023 pour ses publications en faveur de la Palestine sur les réseaux sociaux. Un événement organisé par l’INSAF le 17 novembre a également été annulé par l’Université, au motif que celui-ci serait une menace à la sécurité. Comment une université, censée nous apprendre la pensée critique et la tolérance, peut-elle utiliser l’intimidation de la sorte pour censurer certaines opinions ?
C’est étrange que nous n’entendons pas tou.te.s ces professeur.e.s qui défendaient corps et âme la liberté académique d’utiliser le « mot en n » en 2020 s’indigner aujourd’hui de la censure visant l’activisme pro-Palestine sur le campus…
Bref, encore une fois, l’Université refuse d’écouter ses étudiant.e.s. Mais elle n’aura pas le choix. Désormais, le rapport de force est en notre faveur. Nous sommes de plus en plus nombreux.ses à exiger des actions. Vous ne pouvez plus nous ignorer. Soyez du bon côté de l’histoire.
Vous vous demandez peut-être, vous aussi, quelle est la meilleure manière de soutenir les activistes luttant sur la pelouse Tabaret. Alex rappelle qu’il est toujours apprécié d’apporter de la nourriture chaude ou du matériel – chaque jour,INSAF publie sur Instagram la liste du matériel voulu. Vous pouvez également faire un don en envoyant un virement à insafuottawa@gmail.com. Le mieux est néanmoins toujours de venir, car le groupe fait la force : en plus d’exercer une plus grande pression sur l’Université, le nombre garantit la sécurité du campement. Si vous le pouvez, essayez également de boycotter les entreprises comme Starbucks, McDonalds, Walmart, Costco ou encore Amazon, et bien d’autres, qui profitent de l’occupation, soutiennent Israël, et même leur font des donations.