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Rapport Bastarache : des conclusions qui ne font pas consensus

Johan Savoy
6 novembre 2021

Crédit visuel : Dereck Bassa – Photographe

Article rédigé par Johan Savoy – Journaliste

Suite au scandale survenu l’an passé opposant la professeure Lieutenant-Duval et une étudiante du cours ART 3117, ainsi qu’aux propos tenus par Amir Attaran sur Twitter, le recteur de l’Université d’Ottawa (U d’O) décidait de mettre sur pied un comité indépendant. Celui-ci avait pour objectif d’analyser les enjeux entourant la liberté académique. Le travail du comité a finalement débouché sur un rapport indiquant ultimement sept recommandations censées prévenir toute nouvelle situation problématique de la sorte. 

Afin de clarifier la situation entourant le débat sur la liberté académique, l’administration de l’Université a pris la décision de former le Comité sur la liberté académique, un comité spécial dont le mandat se divisait en trois parties. Il était tout d’abord question de prendre connaissance de la situation sur le campus uottavien, puis de définir les concepts de liberté académique et de liberté d’expression, avant de finalement proposer une solution permettant d’être en mesure de mieux gérer tout nouvel incident en lien avec des propos problématiques. 

Ledit Comité se composait intégralement de membres du corps professoral, à l’exception du Docteur Alireza Jalali, Doyen associé, Relations extérieures, engagement et développement de la Faculté de médecine, et du juge à la retraite, l’honorable Michel Bastarache, quant à lui en charge de la présidence.

Une composition non représentative de la communauté universitaire, d’après Tim Gulliver, président du Syndicat étudiant de l’U d’O, qui estime que le Comité aurait dû inclure des représentant.e.s étudiant.e.s. « La voix étudiante n’a pas été entendue alors que nous représentons la communauté la plus importante [en termes de nombre] sur le campus », déplore-t-il.

Des conclusions qui divisent 

Le travail mené par le comité de consultation s’est finalement conclu par l’émission d’un rapport dont la dernière partie mentionne sept recommandations. Il y est notamment question de la création d’un comité permanent chargé de traiter les situations problématiques, mais aussi de la réaffirmation de l’attachement de l’établissement à la liberté d’expression et académique.

Marc-François Bernier, professeur titulaire au Département de communication de la Faculté des arts de l’U d’O, s’estime satisfait des conclusions de ce rapport : « Le rapport a confirmé ce que les professeur.e.s, comme moi, avons écrit il y un an sur l’importance de la liberté académique [] Il n’y a pas de mots, pas de concepts, pas de notions qui sont interdits à l’U d’O, malgré ce que la haute administration a prétendu pendant des mois », arguant que la prononciation d’un mot est différente de son emploi.

Un constat en totale opposition avec la vision de Gulliver, qui estime quant à lui que le rapport a manqué l’opportunité de bâtir une définition plus moderne et plus inclusive de la liberté académique, qui s’apparenterait davantage à la diversité de notre société actuelle.

Interrogé sur ce qu’il aurait aimé voir figurer dans ce rapport, celui-ci répond : « Certainement, une mention proscrivant l’utilisation de certains mots n’ayant aucun sens académique et aucun intérêt dans une salle de classe. » Il poursuit en affirmant qu’il est tout à fait possible de discuter des différents sujets sans avoir à utiliser lesdits mots. « Nous devons nous écouter davantage les un.e.s les autres, mieux nous entendre et mieux nous comprendre », pense-t-il, soulignant qu’il s’agit d’une opportunité manquée de promouvoir cette valeur essentielle qu’est le respect mutuel.

Une réaction digne d’un groupe de pression, selon Bernier, qui affirme que l’annexe B du rapport prouve plutôt qu’une majorité d’étudiant.e.s en approuve les conclusions : « Si nous lisons les commentaires des étudiant.e.s, on s’aperçoit qu’ils.elles sont en grande majorité pour la liberté académique et contre la censure, je ne suis donc pas convaincu que la position du Syndicat soit représentative de la position de ses membres », déclare-t-il.

Et maintenant ?

Concernant la création du comité permanent visant à encadrer les problèmes liés à la liberté académique, Gulliver insiste sur le fait qu’il sera important d’inclure des représentant.e.s de la communauté étudiante, de manière à ne pas reproduire la même erreur que lors de la création du comité indépendant.

« Le rapport Bastarache mentionne que les étudiant.e.s seront éventuellement consulté.e.s pour la constitution de ce comité ; avec tout le respect que j’ai pour l’honorable juge, je crois qu’au moins la moitié [du comité] devrait être occupée par des étudiant.e.s », avance-t-il, affirmant que, sinon, celui-ci n’aurait aucune légitimité.

Bernier, quant à lui, manifeste une certaine satisfaction quant à la création éventuelle du comité, prétendant que les critères définis dans le rapport lui permettront de juger au cas par cas, un élément selon lui essentiel dans le traitement de ce genre de sujet. « C’est un moyen qui permettra peut-être d’éviter de nouvelles décisions arbitraires de la part de l’administration, comme ce fut le cas pour la professeure Lieutenant-Duval », lâche-t-il finalement.

Il termine toutefois en regrettant que l’Université n’apporte toujours pas, selon lui,  le soutien qui s’imposerait vis-à-vis de son corps professoral : « Je ne suis pas convaincu que l’administration prenne, aujourd’hui, davantage au sérieux la liberté académique qu’elle ne le faisait il y a un an. Si elle le faisait, elle s’excuserait sans doute de ce qu’elle a fait subir à madame Lieutenant-Duval », soutient-il. Il affirme en définitive que le manque d’avis tranché de la part de l’administration universitaire témoigne qu’elle n’a pas encore tout à fait compris le message.

L’U d’O dispose donc à présent d’indications concernant la marche à suivre pour encadrer les enjeux liés à la liberté académique. Reste à voir dans quelle mesure elle souhaitera y intégrer sa communauté étudiante et quelle stratégie elle adoptera si un tel événement était amené à se reproduire.

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