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Arts et culture

Recherche, français et maternité au sein de l’université

Culture
3 avril 2021

Crédit visuel : Mélanie Provencher – Contribution 

Entrevue réalisée par Aïcha Ducharme-LeBlanc – Cheffe du pupitre Arts et culture

Tout juste retraitée et nommée professeure émérite à l’Université d’Ottawa, France Martineau est sociolinguiste et membre élue de la Société royale du Canada. Elle partage aujourd’hui son expérience de chercheuse, d’écrivaine et de mère dans le milieu universitaire.

La Rotonde (LR) : En quoi consiste votre programme de recherche actuel ?

France Martineau (FM) : Depuis 2005, je travaille sur deux grands projets de recherche internationaux.Ces projets dont j’ai été la cher­cheuse prin­ci­pale ont été subven­tion­nés par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et ont réuni des cher­cheur.euse.s inté­ressé.e.s par le français.On avait pour objectif de retracer l’his­toire de la langue depuis ses origines, du Moyen âge jusqu’à aujourd’­hui. Le premier projet portait plutôt sur la période du Moyen âge, et le deuxième, qui m’occupe encore, est sur le français nord-américain. 

Pour comprendre la spécificité du français en Amérique du Nord, on a fait des entrevues auprès des membres de différentes communautés francophones au Canada et aux États-Unis […]. Afin de retrouver la trace de ses origines, on étudie les correspondances familiales en travaillant avec des textes de personnes qui avaient de la difficulté à écrire, dans lesquels la langue orale ressort. Le projet résulte en de nombreux ouvrages, mais aussi des corpus de textes et d’entrevues. 

Je suis aussi en train d’écrire la première grammaire du français nord-américain à partir de correspondances familiales […]. Parallèlement, on m’a demandé d’écrire un manuel sur le français nord-américain pour les universités. 

LR : Quels sont certains des constats les plus intéressants sur les façons de parler français en Amérique du Nord ?

FM : On parle beaucoup des communautés francophones en contexte minoritaire au Canada comme en Acadie, en Ontario, et dans l’Ouest.Mais, lorsqu’on étudie le français de ces communautés, on voit qu’on ne peut pas juste parler de communautés francophones en contexte minoritaire, parce qu’elles diffèrent beaucoup entre elles. On est obligé.e.s de tenir compte du fait qu’en Ontario par exemple, il y a des communautés où le français est majoritaire telles qu’à Hearst ; il faut nuancer le fait minoritaire de la langue au Canada. 

Aussi, on pense souvent en termes du Québec et du hors Québec, mais il y a énormément de liens entre le Québec et les francophonies en dehors du territoire québécois. Quand on commence à travailler sur ce qui est semblable et ce qui est différent, on trouve beaucoup plus de ressemblances que de différences. 

LR : Est-ce qu’il y a un lien entre la linguistique et la littérature dans votre travail ? 

FM : J’ai écrit deux romans qui appartiennent au genre de l’autofiction, ce qui signifie qu’ils comprennent des éléments réels.L’un est paru en 2016, Bonsoir la Muette, et l’autre en 2019, Ressacs, les deux aux éditions Sémaphore. Pour les écrire, j’ai exploré l’histoire de ma propre famille, avec des journaux personnels, la correspondance de mes parents ; j’ai beaucoup reconstruit mon histoire […]. Ce travail de généalogie et d’analyse, je le fais aussi dans mon travail de sociolinguistique historique. 

Dans mes romans, j’ai abordé les agressions sexuelles que j’ai subies de mon père, et l’abandon de ma mère. J’essaie aussi de montrer combien il est difficile pour les personnes qui ont subi un traumatisme de prendre la parole. Cela est lié au travail sociolinguistique que je fais, car les correspondances que j’étudie viennent de gens issus de conditions sociales modestes, des personnes ordinaires, dont la parole n’a pas traversé les siècles. J’ai pu prendre la parole dans mon travail de recherche et d’écrivaine pour ces gens. 

LR : Comment êtes-vous parvenue à concilier maternité et recherche universitaire ?

FM : C’était difficile, mais mes deux filles m’ont permis de rester très terre à terre […]. Elles m’ont permis de relativiser des urgences universitaires parce qu’il y avait d’autres urgences, comme celles de s’occuper des enfants, et de les voir grandir.

Dans mon cas, j’ai concilié famille et travail en faisant garder mes enfants trois jours par semaine. Mon mari prenait un jour de congé sans solde et les vendredis, je travaillais à la maison […] : c’était une journée pour moi et pour mes enfants. Mes enfants m’ont aussi suivie dans mes déplacements de travail lorsqu’elles étaient petites. Elles ont assisté à de nombreuses conférences, et ont lu énormément de romans au fond d’une salle pendant que je présentais ma recherche. 

C’est compliqué [de concilier maternité et carrière universitaire] parce qu’il faut trouver des stratégies qui ne sont pas nécessairement celles auxquelles on va penser en premier. Qui penserait amener ses enfants à un colloque ? Finalement, cette stratégie m’a permis d’être en contact avec mes enfants pendant que je travaillais, et mes enfants ont appris de ces déplacements. Pour réconcilier le travail et la famille, il ne faut pas penser à ces deux sphères de la vie comme si elles étaient opposées ; elles ne sont pas l’une contre l’autre, mais bien l’une avec l’autre. 

LR : Avez-vous des conseils pour les étudiant.e.s qui s’intéressent à une carrière dans la recherche universitaire ?

FM : Je dirais aux étudiant.e.s « une chose à la fois ». Une carrière universitaire dure environ 30 ans, mais il ne faut pas y penser comme ça. Il faut être dans le moment présent et surtout, garder sa passion […]. C’est cela qui va faire qu’on va être à la fois bon.ne chercheur.euse, mais aussi bon.ne enseignant.e, parce que c’est la passion qu’on enseigne. Le rythme universitaire amène à sans cesse penser « il faut que je publie tant par année », « il faut que j’aie telle subvention » […], mais il faut toujours se rappeler qu’il y a au départ une passion pour la recherche.

C’est aussi important d’avoir autre chose dans sa vie, que ce soit le sport, les passe-temps, ou la famille. [Ces activités] nous permettent de garder une boussole interne, de rester bien ancré.e.s dans la vie […]. Il faut veiller à trouver son équilibre entre le travail et la vie personnelle. 

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