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Tombeau du soldat inconnu
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Se souvenir : l’héritage des vétérans autochtones

Jessica Malutama
29 novembre 2023

Crédit visuel : Jürgen Hoth — Photographe

Article rédigé par Jessica Malutama — Journaliste

Au Canada, le 8 novembre marque la Journée nationale des vétérans autochtones. Établie au Manitoba en 1994, cette dernière, célébrée en parallèle au jour du Souvenir, entend saluer les contributions et les sacrifices des anciens combattants des communautés des Premières Nations, Inuit et Métis. Pour la majorité de la population, elle symbolise aussi l’occasion d’effectuer un retour historique sur l’héritage militaire des vétérans autochtones du Canada ainsi que sur les défis encourus par ces dernier.ère.s.

Une large contribution militaire

Robert Falcon-Ouellette, ancien militaire, ex-député, membre de la Nation crie Red Pheasant, et professeur à la Faculté d’éducation à l’Université d’Ottawa, assure que les grands conflits du XXe siècle ont entraîné une importante mobilisation des peuples autochtones au sein des Forces armées canadiennes.

Le professeur ainsi que John Moses, vétéran, directeur de Rapatriement et relations avec les Autochtones au Musée canadien de l’histoire et membre des Six Nations de la rivière Grand, indiquent que les soldats autochtones se sont enrôlés dans l’armée alors qu’ils.elles étaient privé.e.s des avantages de la citoyenneté canadienne.

Moses informe que les anciens combattants autochtones ont occupé toutes les branches et tous les grades de l’armée canadienne. Il précise que la décision d’aller au front à l’étranger n’était jamais prise à la légère, dans la mesure où les motivations personnelles variaient de l’aspect pratique à l’aspect politique. « Certains étaient davantage tournés vers l’avenir. Ils pensaient qu’une fois la paix revenue, personne ne mettrait en doute leur récent service militaire à l’étranger et que ce dernier servirait de levier politique pour défendre leurs droits au Canada et sur la scène internationale », explique-t-il.

Alors que certains membres des communautés autochtones intégreront le corps militaire dans l’optique d’aider le Canada, « ils seront confrontés à une société discriminatoire lorsqu’ils rentreront au pays », énonce Ouellette.

Des disparités de traitement

« Certains vétérans autochtones ont dû attendre des décennies avant de recevoir leurs prestations d’anciens combattants », déplore Moses. L’ex-militaire émet que les actions des autorités gouvernementales, « entachées d’erreurs et d’incompétence bureaucratiques », ont creusé un fossé entre les vétérans autochtones et le reste de leurs frères d’armes dans leur retour à la vie civile. Il explique que dans de nombreuses communautés, les escadrons enrôlés avaient été informés qu’ils pourraient bénéficier des prestations attribuées aux anciens combattants en temps de paix. Pourtant, ces avantages n’étaient réservés qu’aux citoyens canadiens, fait-il savoir.

Moses explicite que sous la Loi sur les Indiens, les Autochtones n’étaient pas considérés comme des citoyen.ne.s à part entière, mais comme des mineur.e.s légaux.ales. Il note que certains soldats avaient été avisés, au moment de leur enrôlement, qu’ils devraient « renoncer à leur statut légal d’Indien et révoquer leur appartenance à une bande enregistrée s’ils espéraient recevoir une quelconque indemnité d’ancien combattant une fois la fin des hostilités arrivée ».

Le vétéran ajoute que le service militaire des Autochtones — lors des deux guerres mondiales — a engendré des conséquences imprévues allant de l’éclatement des familles et des mariages, à l’augmentation du nombre d’enfants placés dans les pensionnats en temps de guerre, à une remise en cause des modes de gouvernances traditionnelles autochtones, et à une dépossession de leurs terres sur les réserves.

« De 1942 à 1947, mon père a séjourné [au] Mohawk Institute de Brantford. Dans ce pensionnat, qui avait été converti pour répondre aux besoins de production de la Guerre, les enfants effectuaient du travail forcé », confie Moses.

De ces injustices vécues a déferlé une vague de mouvements civiques pour la défense des droits autochtones au pays, ajoute l’ancien combattant.

Se souvenir pour ne pas oublier

Selon Ouellette, la commémoration des vétérans autochtones, aujourd’hui célébrée au niveau national, revêt un caractère important du fait des discriminations qu’ils.elles ont connues malgré leurs sacrifices. Selon Moses, dans ce climat de vérité et réconciliation, le 8 novembre représente une occasion « de s’informer sur la véritable histoire du Canada et sur l’histoire militaire du Canada en général ».

L’ex-militaire pense qu’il importe de ne pas uniquement se focaliser sur les exploits militaires individuels de tireurs d’élite ou « de commandos hors pair », car ces actions tendent à renforcer des stéréotypes envers les Autochtones, selon lui. Il affirme qu’il est essentiel de se pencher, entre autres, sur les conditions vécues par les vétérans autochtones sur les fronts intérieur et extérieur en temps de guerre, et de reconnaître que malgré le fait que le Canada « a activement refusé les pleins droits et avantages de la citoyenneté aux vétérans autochtones », ces dernier.ère.s ont rempli à l’étranger ce qu’il considère être l’action citoyenne la plus honorable, en remplissant leurs obligations militaires.

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