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Éditorial

Si chaque jour était la journée de la réconciliation

Marina Toure
2 octobre 2023

Crédit visuel : Jürgen Hoth – Photographe

Témoignage — Céline Thusky

Transcription Marina Touré — Corédactrice en cheffe

Mon nom, c’est Céline, parce que je suis originaire du lac Montréal. Ma famille a vécu là pendant des siècles et des siècles, et mes ancêtres ont aussi vécu là. Je suis née dans une tente et ma famille a toujours préservé la langue algonquine. J’ai grandi sur mon territoire jusqu’à l’âge de six ans et demi avec mes parents.

J’ai eu la coupure de ma culture en 1962 à cause des écoles résidentielles. Le lien familial a été détruit dans ma vie ; ma communication avec mes parents n’était plus la même. C’était aussi une coupure avec ma langue. Il n’y avait personne qui était préparé. Du jour au lendemain, j’ai été déracinée. Ce que l’on a vécu dans les pensionnats, c’est une rupture qu’aucun enfant ne doit vivre aujourd’hui. J’en ai perdu beaucoup des enseignements de chez nous.

Il y a des bébés qui se sont fait ramasser, ils avaient encore des couches. Mais ces bébés-là, moi, je n’ai aucune idée où ils sont partis. Au début, c’est plein d’émotions, parce que tu ne sais plus qui tu es et tu ne sais pas où sont tes parents. C’était très difficile parce qu’on n’avait pas le droit de pratiquer nos langues. C’était totalement interdit par les sœurs, les curés, les pères et les oblats qui prenaient en charge notre vie. Tu étais interdit d’être toi-même.

Quand tu es un enfant déraciné, tu te demandes : « Est-ce que quelqu’un m’a abandonné? » Je blâmais un peu mes parents, parce qu’on n’avait aucune idée de ce qu’était un prêtre. On était cinquante petites filles et cinquante petits garçons séparés dans deux immeubles. Ce qui nous a sauvés en partie, c’était parler un petit peu en cachette notre langue. Je me réveillais avec des mots sous mon oreiller.

J’avais de la misère à raconter [mon expérience] à mes parents quand je revenais chaque été. On avait juste trois semaines de liberté. La quatrième semaine, c’est la fin du mois. Tu retournes dans le pensionnat. J’ai beaucoup essayé. Je demandais à mes parents : « Pourquoi je suis partie? C’est qui qui a dirigé ma vie? Quelle langue parle-t-on? » Mes parents ne voulaient rien savoir. La religion les avait emportés. Moi, j’étais bien désolée de mes vacances. 

Le pensionnat c’était notre école primaire et quand je me suis rendue en secondaire 1, mon père a commencé à être malade et un aîné est venu me chercher. Je n’avais pas le droit de sortir, il faut que tu aies des raisons pour sortir du pensionnat. Après des heures, il a convaincu le directeur de l’école et c’est comme ça que je suis sortie du pensionnat. Quand je suis sortie, j’ai dit : « Je m’en vais à l’école, j’ai besoin d’un petit peu d’éducation. » Je ne savais pas comment faire pour prouver que j’avais fait mes cours au pensionnat. Le gouvernement fédéral ne nous permettait pas de continuer notre éducation une fois sortis des pensionnats.

Aujourd’hui, j’ai bien de la misère à me réconcilier. Chaque année, c’est difficile. C’est pour ça que je veux tellement que les institutions nous reconnaissent. Qu’est-ce que vous feriez aujourd’hui si du jour au lendemain on détachait vos enfants de chez vous? Mais, j’ai encore l’impression que l’on n’entend pas ma voix, l’invisibilité existe encore de nos jours. Puis, tu veux tellement sortir de là et dire au gouvernement que le temps est venu de venir chez nous, de travailler ensemble. 

C’est important que la réconciliation soit interculturelle. On doit aussi avoir nos écoles à nous autres et se faire traiter comme des personnes à part entière. Nous n’avons pas connu ça au pensionnat. Le mot « humanité », les prêtres ne prononçaient jamais ce mot. Dans le pensionnat, j’ai connu le suicide. Plusieurs de mes amis garçons disaient : « À ma sortie, je saute en bas de train. » C’est ce qui est arrivé à plusieurs. Ça m’a déchiré.

On est dans la semaine de la réconciliation, mais toutes les journées devraient être la réconciliation. Il y a encore des gens qui ne nous acceptent pas en tant que Premières Nations. On doit toujours se battre. Il faut faire des petits pas, et pas seulement avec le gouvernement, mais aussi avec les autres institutions comme les hôpitaux, les collèges, les universités, à travers des partenariats avec les Premières Nations. Moi, je suis dans le Centre d’amitié autochtone à Maniwaki. C’est un programme qui permet de créer un espace pour les personnes autochtones hors de la réserve. On a créé un partenariat dans la région avec plusieurs nations autochtones, parce que l’on s’est toujours entraidés. Quand on était jeunes, il n’y avait pas de clôtures, pas de réserves.

Aujourd’hui, on est toujours confrontés à des barrières et l’on doit voir le gouvernement délaisser la nature. L’environnement est en détresse. De nos jours, le lac est malade, les animaux sont affectés. Pour que le gouvernement règle la situation, il faudrait qu’il ne fasse rien pendant dix ans pour laisser pousser la forêt.

Ce qui est important c’est qu’on parle de notre histoire tous les jours. On invite nos petits enfants à aller camper durant l’été. On explique ce qui reste encore à l’environnement, parce qu’aujourd’hui, notre mode de vie a trop changé, on a trop de protocoles à respecter avec le fédéral et le provincial.

Il faut toujours se battre avec le gouvernement. Ce n’est pas de cette manière-là que je veux vivre, c’est ma liberté. J’ai le droit, chacun de nous on droit, à la liberté. La liberté de renaître à cause de toutes les années perdues dans les pensionnats. J’aurais voulu que mes parents soient mis au courant de ma journée de départ et qu’ils sachent que j’allais me faire détacher de ma famille, mais ils n’ont pas eu la chance de se prononcer.

Il y a beaucoup de traumatismes, on ne finira jamais d’en parler. C’est notre histoire, notre patrimoine qui doit être affiché. Je veux que l’on nous retrouve dans les établissements scolaires. Que l’on sache que l’on existe encore et que l’on est fier de notre terre.

Moi, je t’ai dit mon histoire aujourd’hui, mais il faut que cet échange et que ces discussions ne s’arrêtent jamais!

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