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Un plafonnement des étudiant.e.s internationaux.les au Canada, justifié ou pas ?

Jessica Malutama
10 octobre 2023

Crédit visuel : Jürgen Hoth — Photographe

Article rédigé par Jessica Malutama — Journaliste

En juillet dernier, le gouvernement libéral fédéral a évoqué la possibilité de poser un plafond sur le nombre d’étudiant.e.s internationaux.les accueilli.e.s au Canada pour pallier la crise du logement. Qu’est-ce qui explique la volonté du gouvernement fédéral de poser une telle limite ? La mesure est-elle justifiée ? D’autres solutions existent-elles pour s’attaquer à la crise actuelle ? Qu’en pensent les étudiant.e.s internationaux.les à l’Université d’Ottawa (l’U d’O) ?

Selon Steven Ambler, professeur associé au Département des sciences économiques à l’École des sciences de la gestion à l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM), la crise du logement s’explique par une offre insuffisante de logements qui ne parvient pas à répondre à une demande « qui augmente régulièrement, d’une part, à cause de la croissance de la population ». Le chercheur informe que « l’immigration permanente » dont font partie les étudiant.e.s internationaux.les participe à la hausse de la population. D’après lui, les prix augmentent, car la construction d’habitations n’augmente pas assez rapidement, entre autres, en raison d’une « réglementation excessive ».

Unsal Ozdilek, professeur au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale à l’ESG UQAM indique qu’un effort insuffisant du gouvernement et un manque de fonds important viennent en partie expliquer la raison pour laquelle l’offre ne suit pas la demande. Selon lui, avec l’option du plafonnement, le gouvernement cherche à stabiliser la demande globale grandissante afin d’être mieux à même de répondre à la demande locale.

Le plafond : mesure efficace ?

Ozdilek affirme qu’à l’heure actuelle, on ne peut pas savoir si le plafonnement représente une mesure justifiée, car cela nécessiterait d’analyser le nombre d’étudiant.e.s internationaux.les et le type de logements qu’ils.elles occupent. Le professeur soutient toutefois que le plafond constituerait une réponse légère à un problème qui nécessite des solutions plus « costaudes ».

Selon Moshe Lander, maître de conférences en économie à l’Université Concordia, la mesure ne ferait que déplacer le problème. Il affirme qu’elle constituerait « un gain minime à court terme avec de graves conséquences à long terme ». Lander poursuit en déclarant que « les étudiant.e.s internationaux.les commenceront à chercher à aller ailleurs et d’autres pays bénéficieront du capital humain qu’ils développent dans les universités, un moteur important pour la croissance et le niveau de vie futurs ».

Pierre Desrochers, professeur au Département de géographie, de géomatique et d’environnement à l’Université de Toronto à Mississauga (UTM) estime que les étudiant.e.s internationaux.les ne sont pas à blâmer. « D’un côté, nous avons des propriétaires immobiliers qui s’opposent à l’élimination des barrières à la construction de nouveaux domiciles. De l’autre, nous avons des gens qui sont exclus du marché immobilier. Cette situation n’est pas viable et ne peut mener qu’au déclin de l’Ontario », informe-t-il. Selon Sarom Rho, coordinatrice de la section des étudiant.e.s internationaux.les de l’association Migrant Workers Alliance (MWA), la mesure du plafonnement vise un groupe vulnérable et ne tient pas la route : « Pendant la pandémie, les frontières du Canada étaient pratiquement fermées. Ceci était essentiellement un plafond. Or, les prix de l’immobilier ont grimpé en flèche. »

D’autres solutions ?

Lucy Labie, étudiante internationale en lettres françaises, pense que toute ville possédant une université devrait avoir les infrastructures nécessaires pour accueillir un grand nombre d’étudiant.e.s, y compris dans les quartiers à proximité des campus. Selon Shiyun Wang, étudiante internationale en sciences de la santé et vice-présidente à la communication de l’Association des étudiants internationaux (UOISA), les étudiant.e.s internationaux.les représentent un capital économique et humain important pour le Canada et ses campus.

Elle reconnait tout de même que l’apposition d’un plafond est justifiée, là où il pourrait venir tempérer la demande. Elle considère que l’U d’O devrait élargir et rendre plus accessibles des services comme la Clinique juridique communautaire et le Service du logement, ainsi que créer des partenariats avec des propriétaires ou des agences immobilières pour faciliter la recherche en logement. Elle ajoute que les autorités doivent davantage sanctionner les locataires abusifs envers les étudiant.e.s internationaux.les : « Ils.elles représentent un groupe vulnérable facilement exploitable, car ils.elles sont moins informé.e.s des lois locales. »

Rho du MWA insiste sur la nécessité de moderniser la Loi sur l’immigration en accordant un statut de résident permanent aux étudiant.e.s internationaux.les pour protéger leurs droits de locataires qui sont actuellement inexistants. « Nous ne devons pas tomber dans le piège de la xénophobie et de l’anti-migration. Il est temps de demander des comptes aux véritables responsables, soit ceux qui capitalisent la crise », soutient-elle.

Lander estime qu’un important levier pour le gouvernement fédéral serait de « menacer de suspendre le financement des provinces » qui n’incitent pas les municipalités à assouplir leurs lois de zonage et les taxes foncières pour « encourager la construction de logements ». Ce dernier affirme que « cela ne résoudra pas le problème dans la prochaine année, voire dans la prochaine décennie, mais cela serait plus efficace que de cibler un groupe d’étudiants étrangers et de penser que le problème disparaîtra ainsi ». Somme toute, il faudra observer dans les prochaines années, l’évolution de la situation autour de la crise du logement.

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