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Une réalité difficile pour les Iranien.ne.s à l’étranger

Jacob Hotte
20 octobre 2022

Crédit visuel : Marie-Ève Duguay – Co-rédactrice en chef

Entrevue réalisée par Jacob Hotte – Contributeur

Le 13 septembre dernier, l’Iranienne Mahsa Amini s’est fait arrêter par la police de la moralité sous prétexte de violation du code vestimentaire islamique. Trois jours plus tard, la jeune femme est morte de traumatismes physiques qu’elle aurait subi lors de sa détention. Une étudiante de premier cycle à la Faculté d’Art de l’Université d’Ottawa (l’U d’O), qui sera nommée Maeve afin de conserver son anonymat, fait partie des Iranien.ne.s à l’étranger qui sont gravement touché.e.s par les événements actuels se déroulant dans leur pays natal.

La Rotonde (LR) : Quel impact a eu la mort d’Amini sur toi et ta famille ?

Maeve (M) : J’ai beaucoup de chagrin pour Amini. Je n’ai jamais ressenti autant de peine pour quelqu’un que je n’ai jamais connu. Nous venons du même milieu, c’est une expérience très bizarre.

Je trouve cela difficile d’être loin de ma famille et de mon pays. Depuis que la mort d’Amini a été annoncée, il y a eu plusieurs manifestations publiques en Iran. Je ne peux pas y participer, je ne peux pas être avec mon peuple dans les rues pour réclamer de meilleurs droits pour les femmes. Étant isolée, il est donc plus difficile pour moi de surmonter cet événement.

En réponse aux manifestations, le gouvernement iranien a coupé l’accès à internet. Je ne peux plus faire d’appels vidéos et je n’ai plus accès aux réseaux sociaux des membres de ma famille, alors que ce sont les seuls moyens que j’ai pour confirmer qu’ils.elles sont en sécurité.

LR : Quelle est ta réalité en tant qu’Iranienne au Canada, en particulier face aux événements actuels en Iran ?

M : Je me sens coupable parce que je réalise le privilège que j’ai de vivre dans un pays relativement sécuritaire. J’ai l’opportunité de sortir et d’aller manifester sans être arrêtée, voire tuée. Je peux parler de la situation et donner mon opinion face à celle-ci sans compromettre mon avenir.

D’une certaine manière, j’ai honte de ce privilège. Il m’arrive aussi d’avoir honte parce que je suis dans une meilleure situation que plusieurs d’autres. Je sais qu’en restant au Canada, je pourrai obtenir ma citoyenneté canadienne et que j’aurai une chance d’avoir un meilleur futur. En tant qu’Iranienne queer, je trouve que les droits pour les individus LGBTQ+ sont davantage priorisés ici. En reconnaissant mon privilège, je reconnais également que rester ici est plus sécuritaire.

LR : Quelles différences remarques-tu entre les protestations actuelles et celles que l’Iran a pu observer lors des dernières années ?

M : Il y a eu des protestations depuis plusieurs années. Elles ont commencé, je crois, il y a 12 ou 13 ans. Au départ, les gens protestaient contre les résultats de l’élection présidentielle, qui étaient jugés frauduleux. Depuis ce temps, les causes des démonstrations ont évolué : la crise d’eau, l’inflation, l’augmentation des prix du carburant, ainsi que d’autres événements tragiques causés par le gouvernement, ont tous mené à des manifestations. 

Le peuple iranien est tanné des mensonges propagés par le gouvernement, de la justice qui n’est jamais rendue et des droits qui sont constamment violés. Plusieurs Iranien.ne.s ont été arrêté.e.s et tué.e.s aux mains de la police. C’est un phénomène qui se reproduit constamment. Nous voulons du changement, pas seulement par rapport au gouvernement, mais aussi face au régime.

LR : Que penses-tu de l’activisme canadien face à la mort d’Amini ?

M : Le premier octobre, il y a eu des protestations à travers dix villes canadiennes, et j’ai participé à celle d’Ottawa. Le Canada nous donne au moins la chance de nous exprimer et de réclamer nos droits, tout en étant en sécurité. Les rassemblements auxquels j’ai participé ont été très pacifiques, le gouvernement et la police du Canada ont été d’un grand soutien. Je crois que nous sommes tou.te.s très reconnaissant.e.s des opportunités que nous avons ici.

Cependant, je trouve que la situation n’est pas assez couverte par les médias. Nous parlons souvent sur les réseaux sociaux des droits des femmes et des droits humains en général. Mais, les gens avec de grosses plateformes n’utilisent pas assez leur influence pour parler de la situation, comme si la cause n’était pas assez importante. Nous avons vu, avec la guerre en Ukraine, à quel point un mouvement peut obtenir du soutien. C’est déchirant de voir que les gens perdent intérêt : j’ai de moins en moins d’engagements sur mes publications en lien avec les protestations en Iran. Je ne m’attends pas à ce que les gens fassent l’impossible, je souhaite seulement qu’ils.elles prennent conscience des événements récents.

LR : Est-ce que ton activisme a un impact sur toi et/ou sur ta famille qui réside présentement en Iran ?

M : Le gouvernement a commencé à entreprendre des actions horribles face aux expatrié.e.s iranien.ne.s qui ont exprimé leur désaccord par rapport à sa réaction. Dans plusieurs cas, le gouvernement leur interdit de retourner en Iran et menace même les membres de leur famille qui y habitent toujours.

Cela décourage plusieurs personnes à s’exprimer et à vocaliser leurs opinions. Lors des manifestations, plusieurs étudiant.e.s iranien.ne.s se sont vêtus de vêtements noirs, de masques, de lunettes de soleil et de tuques, afin que le gouvernement ne puisse pas les reconnaître. J’ai moi même été réprimandée parce que je ne me suis pas masqué le visage. C’est une preuve que le régime iranien est réellement effrayant.

Même si les manifestations au Canada étaient parfaitement légales et pacifiques, plusieurs d’entre nous seront puni.e.s pour y avoir participé. Le gouvernement est tellement obsédé par ce type d’activisme qu’il peut potentiellement mettre notre futur en Iran, si l’on désire y retourner, en danger.

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