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Arts et culture

Caligula : le drag au delà du binaire

Stella Chayer Demers
13 octobre 2022

Crédit visuel : Courtoisie

Entrevue réalisée par Stella Chayer Demers – Cheffe du pupitre Arts et culture

Caligula, artiste de drag de 22 ans et nouvelle MX Capital Pride d’Ottawa 2022, nous invite à réimaginer la pratique du drag. La Rotonde s’est entretenue avec elle pour discuter de Drag Race, de ses standards et de ses attentes, et de tout ce qui tombe à côté de la définition traditionnelle du drag

La Rotonde (LR) : Comment a commencé ta carrière dans le drag ?

Caligula (C) : Tout a commencé avec Fierté 2019, à Ottawa. J’étais dans la parade, sur un des camions qui passaient. Je faisais partie d’une chorale, mais je voulais être « cute », donc j’ai mis un peu de maquillage, je portais des talons que je venais juste d’acheter à une friperie. Il y avait une drag queen, elle aussi sur le camion,  et elle m’a dit « tu viens avec nous ». Je lui ai répondu que je ne pouvais pas, que je devais rester avec la chorale. Elle m’a regardé de la tête au pied, puis a rétorqué « non, tu portes du maquillage, tu portes des talons, you’re doing drag, baby ». J’étais surprise de voir que c’était si facile de faire du drag. C’est cet événement-là qui a allumé le feu.

LR : Comment décrirais-tu ton style de drag ?  

C : Je suis quelqu’un qui, dans la vie ordinaire, aime plaire aux gens. Je veux m’assurer que tout le monde est content. Mon style de drag, au contraire, est très provocateur, très hédoniste. C’est ma manière de m’exprimer et de faire ce que je veux. Lors de mes performances, le public peut s’attendre à quelque chose de gros, il y beaucoup de danse et de jambes. Être sexy, c’est quelque chose de très libérateur pour moi, ça fait partie de mon style.

LR : Ton drag doit donc avoir une grande signification pour toi ?

C : Oui, surtout en grandissant queer dans une région très rurale : tu construis beaucoup de murs autour de toi, pour te protéger et ne pas être vulnérable. Pour moi, le drag, c’était me permettre d’être vulnérable, pas juste en étant sur scène, mais aussi dans ma vie de tous les jours. Le drag, ça aide beaucoup à t’ouvrir, à devenir la personne que tu as toujours été destinée à être.

Je pense que le drag a changé ma vie pour le mieux. Surtout pour quelqu’un qui est très féminin dans un corps très masculin… En drag, je suis plus androgyne, je suis un peu des deux à la fois sans être assez pour être l’un ou l’autre, et c’est à ce moment-là que je me sens vraiment dans ma zone de confort. C’est une transformation qui n’est pas juste physique, mais aussi mentale. Le drag m’a aidé avec ma confiance en moi. Étant non binaire, il n’y a pas beaucoup d’espaces où je peux être moi-même à cent pour cent, mais avec le drag, je peux faire ce que je veux, cela a changé ma vie.

J’aime aussi changer les idées préconçues sur ce qu’est le drag et ce que le drag veut dire. Étant donné d’où je viens, je n’ai pas eu de représentation queer lorsque j’étais jeune donc être cette représentation pour la prochaine génération, c’est quelque chose qui m’inspire beaucoup. Ça me pousse à devenir meilleur.e.

LR : Que dirais-tu aux gens qui veulent faire du drag, mais qui ne savent pas par où commencer ? 

C : Il n’y a rien de mal à le faire dans l’intimité de ta chambre. C’est comme ça que j’ai commencé. Si tu aimes ça, si ça t’excite, fais-le. Peu importe ton apparence, peu importe que ton maquillage soit le meilleur ou pas ou que tu aies les vêtements les plus chers ou pas : vas-y. Il ne faut pas avoir peur d’être vulnérable : la première étape, c’est d’être vulnérable avec soi-même. C’est facile à dire, difficile à faire, mais une fois que tu le fais, c’est libérateur. La première fois que je l’ai fait et que je me suis regardée dans le miroir, ça a tout changé. Il ne faut pas avoir peur de faire ce premier saut, parce que quand tu le fais, tu réalises que voler, c’est le fun.

LR : L’exemple connu du drag en ce moment, c’est Drag Race, mais est ce que cela représente vraiment la réalité du drag ?

C : Non, et je veux changer cette perception-là. Le drag, ça n’a pas besoin d’être à ces standards-là. Ton drag n’a pas besoin d’avoir l’air luxueux. Pour moi, c’est la fantaisie de l’affaire qui est importante, plus que n’importe quoi d’autre. Je veux garder cette fantaisie en vie !

Il y a une certaine tradition dans le drag que je pense que nous sommes en train de perdre. Il s’agit vraiment de faire quelque chose à partir de rien, il s’agit de s’exprimer et de laisser transparaître sa « queerness ». Je pense que nous perdons un peu de cette magie. Le drag est censé être choquant, provocateur, briser les frontières. Même si j’aime Drag Race et je suis heureux.se que ça existe et que les personnes queers aient cette plateforme, je pense qu’elle apporte de l’homogénéisation. Le drag est une forme d’art tellement diverse et versatile, et je pense que nous devons porter attention à tous les types de drag. Je vais m’emporter un peu…

LR : Vas-y fort !

C : Je veux insister sur le fait qu’il n’y a rien de mal à être une drag queen ou un homme cisgenre qui fait du drag. J’aime tous les types de drag. Ceci étant dit… les gens en dehors de cette définition là doivent travailler deux fois plus fort pour avoir la moitié des bénéfices. Une grande partie de la culture queer comme on la connait aujourd’hui vient des drag kings et des performeur.ice.s non binaires. Je pense que c’est vraiment dommage, car pendant que nous sommes ici à repousser les limites et à définir les tendances que les autres reprennent, ce sont les hommes cisgenres qui sont récompensés pour avoir copié et imité ces tendances. 

Nous faisons quelque chose qui est si incroyablement puissant et qui, je pense, pourrait vraiment changer la scène d’Ottawa en particulier. Et nous y arrivons : nous avons plus d’opportunités, plus d’espaces, mais on est encore loin de ce que tout le monde ait une chance égale de se produire et d’être payé.e en faisant du drag. C’est un monde d’hommes… un monde de femmes ? Un monde de Queens. Un monde d’hommes cisgenres.

LR : Qui est le public cible de ton drag ?

C : Pour être honnête, mon drag n’est pas pour les personnes hétérosexuelles. S’il y a des personnes hétérosexuelles au bar qui veulent me voir faire du Lady Gaga, et bien désolé, mais ce n’est pas ce que je fais. Mon drag est pour les personnes queers, et seulement pour les personnes queers. Si vous êtes hétérosexuel.le.s et que vous aimez ça, c’est super, j’apprécie votre soutien. Mais mon public cible, ce sont les gens comme moi. Je pense qu’à cause de certaines émissions de télévision et de certains standards, les gens hétérosexuels s’attendent à ce que le drag soit adapté à eux. 

C’est une forme d’art tellement polyvalente, et je pense que c’est injuste qu’un seul type de drag soit loué alors qu’il y en a des centaines d’autres qui sont tout aussi incroyables.

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