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De l’enthousiasme à la désillusion : lettre ouverte d’une étudiante internationale à l’Université d’Ottawa

Lettre ouverte
29 octobre 2023

Lettre ouverte rédigée par Camille Cottais — Contributrice

Cela fait quatre ans que j’étudie à l’Université d’Ottawa (l’U d’O). En 2019, j’étais fière de rentrer dans la « plus grande université bilingue français-anglais du monde ». J’étais excitée d’aller en cours, je me sentais incluse dans la communauté universitaire. J’aimais sincèrement cette université, et j’en faisais constamment la promotion autour de moi. Mais, depuis la pandémie, les désillusions se sont enchaînées.

Lors de mon baccalauréat en sciences politiques et études de genre, j’ai eu la chance, grâce à mes résultats scolaires et au système de bourses généreux de l’U d’O, d’obtenir une aide financière importante. Bourse d’admission, bourse d’excellence, bourses d’aide diverses et variées… En tant qu’étudiante indépendante, la disponibilité de cette aide a été centrale dans mon choix de venir étudier ici.

Vers la fin de mon baccalauréat, néanmoins, j’ai vite compris que cette aide, qui m’a été essentielle pour réussir à payer mes frais de scolarité sans faire de prêt étudiant, n’allait pas durer. D’abord, lorsque l’U d’O a supprimé l’exonération partielle des frais de scolarité pour les nouveaux.elles étudiant.e.s internationaux.ales francophones, en 2021. Puis, elle a décidé d’augmenter les frais de scolarité de 12 % pour ces mêmes étudiant.e.s pour l’année 2023-2024. Bien sûr, je n’oublie pas la fin de la bourse au mérite, qui m’a privée de 1 000 dollars supplémentaires par semestre. La facture ? De 3 483 $ par semestre pendant mon premier semestre de baccalauréat à 6 367 $ pendant celui de ma maîtrise. Oui, vous avez bien lu, mes frais de scolarité ont presque doublé de mon baccalauréat à ma maîtrise.

Moins remarqué, le système de bourses d’admission aux cycles supérieurs a également changé depuis septembre 2021 : plutôt que de recevoir 15 000 $ par année lorsqu’un.e étudiant.e applique avec plus de 8 de moyenne générale (MG), il s’agit maintenant de 7 500 $ pour 9 de MG. Ah, et les étudiant.e.s internationaux.ales n’y ont plus du tout droit, sorry not sorry. Donc, pas d’emplois d’assistant.e.s d’enseignement pour eux.elles non plus, tant pis. Vous comptiez vous fier sur les assistanats de recherche à la place ? Pas de chance, là aussi, les Canadien.ne.s sont privilégié.e.s.

J’ai gradué de mon baccalauréat avec 98 % de moyenne, mais aucune bourse ne m’est donc disponible. Tente des bourses gouvernementales, plus prestigieuses, me direz-vous ? Problème : seule la bourse BÉSO-OGS est accessible aux étudiant.e.s internationaux.ales en maîtrise. Enfin, accessible est un grand mot, puisque pour l’année académique 2022-2023, 226 étudiant.e.s canadien.ne.s de l’U d’O ont obtenu cette bourse, contre seulement sept étudiant.e.s internationaux.ales.

Toutes ces décisions m’amènent à me demander quelle sera la prochaine étape : la suppression de la bourse en français ? Une nouvelle réduction de la bourse d’exonération ? Une augmentation de 15 % des frais de scolarité des étudiant.e.s internationaux.ales en 2024 ? Et surtout, combien de temps faudra-t-il avant que les étudiant.e.s internationaux.ales francophones finissent par fuir l’U d’O ?

Alors oui, je trouve cela injuste, et même écœurant, de devoir aujourd’hui cumuler quatre emplois pour pouvoir payer ces frais de scolarité exorbitants, alors que Jacques Frémont, recteur de l’Université, gagne 399 616 $ chaque année selon la Sunshine List, ajouté à 14 400 $ en avantages imposables, et que Jill Scott, Provost et Vice-rectrice aux affaires académiques, empoche quant à elle un beau 301 615 $ annuellement. Alors que l’Université rapporte chaque année plusieurs dizaines de milliers de dollars de surplus, elle préfère réinvestir dans la construction de nouveaux bâtiments plutôt que dans l’aide et les services aux étudiant.e.s.

D’ailleurs, les frais de scolarité sont loin d’être le seul problème d’accessibilité pour les étudiant.e.s internationaux.ales francophones. Parlons des services de santé par exemple. Nous payons plus de 750 $ pour le RAMU chaque année, mais c’est presque impossible d’obtenir un rendez-vous médical. Si, après des semaines à vous connecter à 8h sur l’application pour tenter d’obtenir l’un des précieux créneaux horaires, vous finissez par réussir, n’espérez surtout pas avoir des services en français ni faire durer votre rendez-vous plus de dix minutes. De plus, depuis la privatisation des services de santé par Byward, avoir un médecin de famille est devenu un privilège réservé aux étudiant.e.s ontarien.ne.s.

Parlons également des cours en français, dont la qualité et la quantité sont ridicules par rapport à ceux en anglais, mais que nous sommes obligé.e.s de suivre pour garder notre exonération. Et les autres services ? Si en 2019, lorsque je suis arrivée, j’arrivais à me faire servir en français presque partout sur le campus, c’est loin d’être le cas aujourd’hui. Étudier dans la plus grande université bilingue français-anglais du monde pour se faire dire « sorry I don’t speak French » par ses employé.e.s, c’est paradoxal, non ?

Et encore, j’ai la chance de ne pas m’être inscrit en co-op, programme dans lequel la plupart des emplois sont au gouvernement, et donc presque réservés aux Canadien.ne.s. J’ai la chance aussi de venir d’un pays privilégié (comprenez : blanc), et donc de bénéficier de délais d’immigration plus courts, d’une certaine reconnaissance de mes diplômes, et que mes papiers du SASS soient reconnus. Si vous venez d’un pays d’Afrique, par contre, attendez-vous à payer parfois plusieurs milliers de dollars pour refaire votre diagnostic au Canada…

Bien sûr, l’U d’O n’est pas la seule responsable. Le gouvernement conservateur de Doug Ford n’a cessé, lui aussi, de prendre des décisions financières austères à l’égard des étudiant.e.s francophones et internationaux.ales. Mais, l’Université ne soutient absolument pas cette population étudiante (qui est pourtant celle qui lui rapporte le plus d’argent). Au contraire, le gouvernement provincial et l’Université sont les meilleurs alliés sur ce point. Plutôt que de faire pression sur le gouvernement de Ford pour aider davantage les étudiant.e.s ou obtenir de meilleures subventions, l’U d’O choisit de faire du lobbying pour les pousser à mettre fin au gel des frais de scolarité pour les étudiant.e.s ontarien.ne.s (et ainsi pouvoir les exploiter sans limites, comme elle le fait avec les étudiant.e.s des autres provinces ou de l’international).

Je ne blâme aucunement les professeur.e.s ni le personnel de soutien, qui font de leur mieux dans ces conditions, mais je blâme cette administration surpayée pour nous exploiter, je blâme notre recteur, je blâme notre vice-provost, qui gèrent cette université comme si elle était une entreprise.

Quand je vois la façon dont l’Université profite de la vulnérabilité de ses étudiant.e.s internationaux.ales, traite ses professeur.e.s à temps partiel, ou gère la polémique du « mot en n », je peux le dire : aujourd’hui, je n’ai plus aucune fierté à faire partie de la communauté uottavienne.

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