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Sports et bien-être

Faire du ski, mais à quel prix ?

Emily Zaragoza
20 mars 2024

Crédit visuel : Keyston _Gian Ehrenzeller

Chronique rédigée par Emily Zaragoza – Journaliste

Il n’y avait pas de neige. Pourtant, il y aurait dû en avoir. C’était la première semaine de janvier et pas un flocon n’est tombé pendant les quatre jours que j’ai passés dans la station qui a accueilli les Jeux Olympiques de Vancouver en 2010.  Le réchauffement climatique était à l’œuvre. Au Canada comme en France, il ne restait de la neige qu’au sommet. Belle métaphore de ce que le ski devient progressivement : un privilège réservé aux classes supérieures. 

Dans mes yeux d’enfant

J’ai fait du ski pour la première fois quand j’avais trois ans. J’habite dans un petit village du sud de la France à quatre heures des Alpes. Quand j’étais enfant, tout le monde ou presque avait l’habitude de partir à la montagne. Il suffisait de prendre la voiture. Chaque année mes parents nous embarquaient dans notre minuscule auto, bien trop pleine, direction « les sports d’hiver ».

Souvent, on partait en groupe, avec des ami.e.s de mes parents et de leurs enfants. Parfois, on louait un très grand chalet tous.tes ensemble. Le ski, c’est comme le vélo, cela ne s’oublie pas. D’une année à l’autre, rien ne changeait. La route interminable avec ses sapins identiques. La pose sur l’aire à manger un sandwich un peu sec. Les pas dans la neige fraîche. Les moniteur.rice.s, leurs lunettes de soleil, la médaille en fin de semaine. C’était comme si la glace avait figé le temps pour en faire un havre de paix rassurant. Puis, un jour, tout a déraillé. Le prix exorbitant des forfaits de ski. Les touffes d’herbes que la neige ne couvrait plus à cause du réchauffement climatique. J’ai ouvert les yeux. 

Quand le ski devient un luxe 

Aujourd’hui, seulement 9% des Français.e.s partent en vacances à la montagne pendant l’hiver. Aller au ski est devenu une activité inabordable pour beaucoup. Pendant mon séjour à Serre Chevalier, je n’ai pas dû croiser beaucoup d’ouvrier.ère.s. Ils.elles sont à peine 6%  à se rendre au ski. Les cadres supérieurs, eux, sont plus de 20%.  Mes parents et leurs ami.e.s ne sont pas cadres. Pour éviter de se ruiner dans l’épicerie hors de prix de la station, on partait avec de la nourriture pour une semaine dans le coffre. 

Nous n’étions pas non plus la cible des hôtels cinq étoiles qui fleurissent ces dernières années dans les stations. Courchevel accueille à ce jour cinq des 31 palaces français. Un marché bien plus lucratif. Les marques comme Chanel ou Dior ont compris le potentiel de l’or blanc et développent des collections de ski avec, par exemple, un pantalon  à 3 200 $

Quid du slogan des années 1990 : « La montagne, ça vous gagne » ? L’objectif de l’État de rendre le ski accessible n’a pas fait long feu. Je n’ai jamais mis un pied à Courchevel. La plupart des skieur.euse,s averti.e.s non plus. La réalité c’est qu’au sein même des amoureux.ses de la montagne, un gouffre sépare maintenant les classes moyennes des ultras-riches. Les stations deviennent le nid d’un entre-soi où les habitant.e.s et les travailleur.euse.s saisonnier.ère.s sont peu à peu invisibilisé.e.s par l’urbanisme. Les restaurants typiques disparaissent, remplacés par ceux de chef.fe.s étoilé.e.s. La « gentrification » touristique à l’œuvre menace les locaux.ales. L’environnement, lui aussi, fait les frais de ce tourisme haut de gamme et de ses spas qui contribuent à l’artificialisation des terres et nécessitent beaucoup d’énergie.  

L’avenir du ski est incertain

Adolescente, je suis partie dans une petite station au milieu du mois de mars. Assise sur mon télésiège, je voyais plus d’herbe que de neige. Aujourd’hui, je ne prendrais même pas le risque d’y aller à ces dates-là, de peur de ne pas pouvoir skier du tout. Le futur promet pire. Le réchauffement climatique rend incertain l’avenir de la quasi-totalité des stations européennes. Dans les Alpes, depuis 50 ans, les relevés montrent que l’épaisseur de la couche de neige diminue de plus de 8,4 % par décennie. Le pire dans tout cela ? Les sports d’hiver sont en partie responsables de la situation

Skier n’est pas une pratique anodine pour l’environnement. Les stations françaises émettent chaque année 800 000 tonnes de CO2. D’abord, il faut se rendre à la station. Le transport représente une part importante des émissions indirectes des skieur.euse.s. D’autant que 35%, d’entre eux.elles, décident de voyager en avion. Une fois sur les pistes, on ne pense pas aux dameuses qui sont passées avant nous. Pourtant, elles sont responsables de la quasi-totalité du bilan carbone des domaines skiables. 

N’oublions pas que les tracés entre les sapins ne sont pas le fruit du hasard, mais le résultat de la main de l’homme. Avant, il y avait une forêt, des animaux, un écosystème entier. Maintenant, ce sont les skieur.euse.s qui règnent en maître. Les débutant.e.s et leur chasse-neige se mêlent aux godilles des skieur.euse.s plus confirmé.e.s. À la nuit tombée, un renard vient laisser des traces. Dernier rappel que ce fut son habitat, avant de devenir le nôtre. 

Quand j’enlève mes chaussures à la fin de la journée, je ne peux m’empêcher de penser que je devrais arrêter. Je n’ai pas envie de participer au fait que les futures générations ne pourront sûrement jamais en faire, faute de neige. De toute manière, d’ici là, les sports d’hiver seront devenus un luxe que très peu pourront se payer. Je ne veux plus encourager ce modèle qui en fait une activité réservée à quelques rares chanceux.ses. Il faut que le ski change. Il doit (re)devenir social et se transformer pour être plus vert. Sinon il est voué à disparaître. Il faut qu’il s’adapte, car je crois que je ne suis pas prête à ranger mes skis au placard.

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