Inscrire un terme

Retour
Sports et bien-être

L’avenir du canal Rideau sur un terrain glissant

Dawson Couture
8 mars 2023

Crédit visuel :  Archives 

Article rédigé par Dawson Couture – Chef du pupitre Sports et bien-être

Pour la première fois dans son histoire, la plus longue patinoire naturelle au monde n’ouvrira pas aux patineur.se.s. La patinoire du canal Rideau, un symbole « emblématique » de la ville d’Ottawa, accueille près d’un million de visiteur.se.s chaque année. En raison des températures élevées, la Commission de la capitale nationale (CCN) a mis fin à ses efforts pour ouvrir la patinoire le 24 février. Les recherches sont déjà en cours pour identifier des solutions technologiques à cet enjeu climatique.

Une équipe de chercheur.se.s de l’Université Carleton, menée par le professeur Shawn Kenny, a pris en charge la demande de la CCN en 2022 afin de fournir un éventail d’options pour adapter les activités de la patinoire aux effets des changements climatiques. Sur une période de quatre ans, la CCN explique que des données seront recueillies et divers projets pilotes seront explorés afin d’essayer de prolonger la saison d’ouverture de la patinoire.

Autant à perdre qu’à découvrir

Le canal Rideau, site reconnu au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2007, relie les communautés étudiantes des trois universités de la capitale. Selon Alexandra Arellano, professeure en sciences de l’activité physique à l’Université d’Ottawa (U d’O), le canal est « un symbole positif et dominant qui représente à la fois Ottawa comme ville active, mais aussi hivernale, où l’hiver est apprécié et regorge d’activités récréatives pour tous ». 

Au cours des sept dernières années, la patinoire a connu des périodes d’ouverture de plus en plus courtes (25 jours en 2017, 18 en 2015). Cette année, la surface de glace n’a pas atteint l’épaisseur de 30 centimètres requise pour être considérée comme sécuritaire. Selon Kenny, cela est attribuable à des températures d’environ 3,5 degrés plus élevées que les niveaux saisonniers attendus pour la région.

Le professeur et son équipe ont établi en 2022 une station météorologique ainsi qu’un réseau de surveillance le long du canal afin de mieux prédire la croissance de la glace et les facteurs qui peuvent l’influencer. Non seulement la surface n’a pas bénéficié de 10 à 14 jours de températures sous -10 degrés cette année, mais les données préliminaires suggèrent que la quantité de neige a empêché une bonne croissance de la glace. 

Même si elle n’est pas sous l’illusion que cela marque la fin du patinage sur le canal, Arellano estime que « cette fermeture pointe vers un futur inquiétant en suggérant un imaginaire touristique pluvieux, et slushy, qui n’est guère attrayant ni vendeur pour un tourisme d’hiver ». « Nous perdons tranquillement un grand symbole régional extrêmement positif et dominant », enchaîne-t-elle. 

L’humain contre la nature

Cela fait maintenant une vingtaine d’années que la CCN anticipe les pires impacts du changement climatique sur les activités du festival d’hiver, selon Arellano. La société d’État fédérale certifie que depuis 2005, plusieurs initiatives ont déjà été mises en place pour améliorer les conditions de formation de glace et diversifier la gamme d’activités offertes durant le Bal de neige

Cette année, la CCN a testé le « canon à neige », ou ventilateur de neige, une technologie utilisée pour fabriquer de la neige sur les pentes de ski. L’idée est de projeter de la neige fondue sur la glace pour la rendre plus épaisse plus rapidement afin de favoriser la croissance de la glace en début de saison. Kenny confirme que l’essai en mi-décembre devant le Centre national des arts a été couronné de succès. Il nuance que la technologie a une utilisation très spécifique et qu’elle doit être employée à un moment propice pour réussir. 

Les robots autonomes de déneigement sont également à l’étude par le collectif de Carleton pour mieux entretenir la surface lorsqu’elle n’est pas sécuritaire pour le personnel de la CCN. Kenny affirme que les robots seront prêts pour le test pilote l’hiver prochain. La troisième option envisagée est celle des thermosiphons, un système de circulation de fluides employé communément dans les réfrigérateurs.

Peu importe la solution, le professeur de génie Ousmane Seidou constate qu’elle sera très coûteuse. Il sera surtout nécessaire, selon lui, que les appareils exploitent des énergies vertes pour ne pas exacerber les effets des changements climatiques.  

Une bataille perdue d’avance ?

« Du point de vue académique, je suis pressé de lire le rapport final », admet Seidou. Le directeur du Lab d’hydraulique de l’U d’O est cependant sceptique, pensant que la technologie ne pourra offrir plus que quelques journées additionnelles de patinage. « L’objectif de prolonger la saison de patinage, pour moi, c’est une bataille perdue d’avance », déplore-t-il.

Malgré son optimisme, Kenny comprend que « si nous n’abordons pas la question sous-jacente des changements climatiques, les possibilités d’action sont limitées ». Il ajoute qu’en suivant les projections des pires scénarios de changement climatique, « les effets seront bien plus importants et plus étendus que ce que nous abordons dans cette étude particulière ».

Seidou œuvre présentement à trouver des mesures d’adaptation aux changements climatiques chez les communautés autochtones dans la région des Grands Lacs. Considérant que les premiers peuples ainsi que des millions de gens à travers le monde luttent présentement pour avoir accès à l’eau potable et l’énergie, le professeur insiste qu’utiliser des fonds et de l’énergie pour entretenir une telle patinoire est « pas mal discutable ». Il reste à voir si les citoyen.ne.s seront prêt.e.s à assumer le coût pour garder cette attraction hivernale ouverte.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire