Crédit visuel : Marina Touré et Dawson Couture — Co-rédacteur.ice.s en chef
Éditorial rédigé par le comité éditorial de La Rotonde
Nous, journalistes, nous retrouvons à la croisée des chemins. D’un côté, les médias sont perçus comme moins crédibles et accusés de promouvoir la désinformation. De l’autre côté, les avancées technologiques transforment la façon dont nous créons, consommons et percevons des informations. Il est grand temps que nous reconsidérions les méthodes journalistiques et nos intentions dans le domaine.
En mi-juillet, Google a suivi l’exemple du Associated Press et d’autres agences de presse lorsqu’elle a annoncé qu’elle étudiait la possibilité d’utiliser des outils d’intelligence artificielle (IA) pour appuyer le travail des journalistes. Sans nécessairement comprendre l’impact de cette décision, ce « géant du Web » proclame le début d’une nouvelle ère médiatique dans laquelle le rôle du.de la journaliste doit être redéfini.
Humaniser le journalisme
Par rapport à l’IA, le journalisme peut être perçu comme tout autre emploi. Certain.e.s viennent dénoncer le fait qu’elle va remplacer nos emplois ou pire encore, nous rendre plus paresseux. En réalité, l’IA est un outil comme tout autre qui fera nécessairement partie du domaine journalistique pour les années à venir.
Bien évidemment, il y a un certain risque lorsqu’on se fie à un nouvel instrument technologique qui rédige des textes pour nous. C’est pour cette raison que les grands journaux ont mis en place des codes de conduite pour tenter de contrer l’utilisation de l’IA. Ce nouvel auteur numérique se réfère à des articles qui ont déjà été publiés, sans créditer les auteur.ice.s. Lorsque l’on pense aux nouvelles du jour pourtant, on peut se demander comment une telle technologie pourrait rédiger des articles d’actualité en quelques minutes.
La guerre en Ukraine a également mis en évidence la capacité de l’IA à diffuser de la désinformation. Ces tentatives de discrédit ou de tromperie ne sont pas souvent efficaces à court terme. Cependant, le véritable danger est que la ligne entre la réalité et la fiction soit brouillée à tout jamais. Il existe également un risque que les journalistes soient spécifiquement ciblé.e.s par des moyens sophistiqués de désinformation lors de leurs recherches initiales. Cela n’aide pas que le gouvernement, en tentant de promouvoir le contenu canadien, nuit à l’accès des Canadien.ne.s aux sources de nouvelles traditionnelles tout en semant le doute quant à la légitimité de ses médias.
En tant qu’outil, toutefois, l’IA pourra certainement accomplir les travaux de base des journalistes – le reformatage, la traduction dans différentes langues, la recherche, la personnalisation et la création du contenu peuvent être faits beaucoup plus efficacement. Les économies réalisées en termes d’efficacité pourraient être consacrées à l’amélioration du « journalisme humain ». Autant les journalistes que les lecteur.ice.s réclament le besoin de faire des reportages plus empathiques et imaginatifs, qui rapportent l’expérience des gens sur le terrain. Dans un futur proche, on se tournera ainsi vers des réalités individuelles plutôt qu’une réalité « objective » qui nous est présentée dans les articles et les bulletins de nouvelles.
L’objectivité en tant que privilège
Si nous vivons dans une ère de désinformation, c’est en partie, car l’objectivité est en recul. Nous nous expliquons. Alors que le mouvement postmoderniste s’infiltre dans les civilisations occidentales, la réalité devient plus nuancée, instable et personnelle. Elle est perçue de plus en plus comme une structure conceptuelle médiée par la langue et l’expérience subjective de l’être humain. Il semble alors impossible aujourd’hui de clairement différencier la vérité de l’opinion.
Tout en apportant certaines des plus grandes inventions du monde, y compris le journalisme, la révolution scientifique a accordé un pouvoir considérable aux sources du savoir scientifique. L’objectivité obtenant peu à peu une réputation divine, ceux.celles perçu.e.s comme conservant un ancien mode de pensée ont été ostracisés, persécutés ou assimilés. La vérité a été pour longtemps, et est toujours, instrumentalisée pour opprimer et détruire certains groupes au profit d’autres.
L’objectivité est un privilège. C’est surtout ceux.celles qui ont ce privilège qui peuvent se permettre de ménager la chèvre et le chou. Les communautés qui ont historiquement fait face à l’oppression et la marginalisation ressentent souvent une obligation ou un désir de s’exprimer pour dénoncer leur situation.
Bien entendu, des personnes issues de toutes les communautés deviennent journalistes tous les jours. Cependant, en plus d’être sous-représentées, elles ont souvent le fardeau supplémentaire d’être questionnées sur leur crédibilité lorsqu’elles s’expriment sur des questions qui ont un impact sur leur communauté, alors que les hommes blancs ne font pas l’objet d’un tel examen. Même si ceux.celles-ci veulent rester neutre, on s’attend paradoxalement qu’ils.elles soient des activistes pour leurs communautés marginalisées surtout quand un événement touche cette communauté.
Cette réalité ne reconnaît qu’à moitié qu’en tant qu’êtres humains, nous aurons toujours des préjugés et des intérêts qui influencent nos écrits. Les faits ne sont jamais présentés de manière isolée ; ce sont les journalistes qui donnent un sens à ces informations en créant des liens afin de mieux comprendre un événement. Certain.e.s reconnaissent et exploitent même ce rôle – pensons à Fox News ou à CNN – alors que d’autres se bouchent les oreilles et nient cette réalité.
En plus d’avoir un journalisme plus humain, la révolution dans le domaine commence par la reconnaissance par chacun.e de ses propres partis pris, intérêts et privilèges. En tant que journal étudiant, nous essayons toujours de mettre en avant les intérêts des étudiant.e.s d’une manière juste et honnête. Nous ne pouvons pas, cependant, négliger que nous avons une ligne éditoriale qui fait avancer les droits de certains groupes, notamment les francophones, les étudiant.e.s et les populations marginalisées. Nous lançons donc ce défi aux autres journaux et journalistes : partagez ouvertement ce que vous défendez et comment vous comptez le défendre !