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Éditorial

Le (nouveau) cri du cœur des services non essentiels

Rédaction
15 mars 2021

Crédit visuel : Valérie Soares – Photographe

Éditorial rédigé par Caroline Fabre – Rédactrice en chef

Et si demain les journaux La Rotonde et The Fulcrum, la radio CHUO 89.1 FM, le Bureau de l’ombudsman et certaines associations étaient mis en danger et amenés à disparaître, que diriez-vous ? Comme nous, vous vous insurgeriez sûrement. C’est pourtant ce qui risque bel et bien de se concrétiser devant la Cour d’appel de l’Ontario, après les 23 et 24 mars prochains.

L’Initiative de la liberté de choix des étudiant.e.s (ILCE), plus connue sous son nom anglophone de Student Choice Initiative, a obligé, durant un semestre en 2019, les universités et les collèges de la province ontarienne à permettre à leurs étudiant.e.s de payer, ou non, certains services dits non essentiels, jusque là inclus d’office dans leurs frais de scolarité. En mai de la même année, la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants et la York Federation of Students avaient contesté le projet devant les tribunaux, menant ainsi à son annulation le 21 novembre 2019 par un comité de trois juges de la Cour divisionnaire. 

Ces derniers avaient jugé que les directives contestées n’étaient pas « autorisées par la loi et étaient incompatibles avec l’autonomie accordée aux universités, principes fondamentaux sur lesquels les universités ontariennes sont régies depuis plus de 100 ans ». Le ministère des Collèges et Universités de l’Ontario a ensuite fait appel au jugement, qui sera entendu à la fin du mois de mars. 

Si la volonté de baisser les frais de scolarité, déjà bien trop élevés, part sûrement d’une bonne intention, ces services considérés comme non essentiels ne sont peut-être pas si superflus que cela. Faire passer l’ILCE, c’est retirer le droit aux étudiant.e.s d’être représenté.e.s et d’exprimer leurs intérêts.

Droit fondamental 

Vous parler une nouvelle fois de l’importance de La Rotonde et du journalisme étudiant risque de fortement vous ennuyer. Voyez plutôt ce paragraphe comme un hommage pour un journal fondé le 12 novembre 1932 par la Société des débats français. Un hommage pour le premier journal étudiant entièrement rédigé en français à l’Université d’Ottawa (U d’O). Un hommage pour un journal qui a survécu à beaucoup des événements marquants du 21e siècle, « à une guerre mondiale, à des crises finan­cières, à des catas­trophes natu­relles, à l’avè­ne­ment d’In­ter­net […], [et] a vécu le nazisme, le fascisme, le commu­nisme », comme le soulignait Yasmine Mehdi, une ancienne employée du journal.

Nous nous efforçons de fournir une information neutre, claire et concise sur l’essentiel de ce qui se passe sur le campus. Lire La Rotonde, c’est une bonne manière d’éviter de se noyer dans les nombreux courriels de l’Université, qui ne font parfois pas beaucoup de sens. Mais surtout, les journaux étudiants permettent de garder une trace des événements passés.

La Rotonde a exposé au grand jour des scandales comme ceux exposant la fraude de l’ancienne Fédération étudiante de l’Université d’Ottawa, les excès du Vet’s Tour, ou encore la dissimulation d’un important surplus budgétaire. L’U d’O n’a pas toujours été totalement transparente avec ses étudiant.e.s, c’est à nous qu’incombe le devoir de faire surgir la vérité des bas fonds de l’administration. Nous exposons les problèmes, et induisons le changement. Adopter l’ILCE, c’est porter directement atteinte au droit à l’information de chacun.e, aux intérêts de la communauté, ainsi qu’au reflet des voix étudiantes, déjà minimisées par la pandémie. Qui serait plus apte que nous à parler de notre propre communauté ? 

Nous donnons une voix aux communautés minoritaires de l’U d’O, et tout particulièrement aux francophones du campus, sans quoi le terme d’université bilingue perdrait encore plus de valeur qu’il n’en a déjà. Nous luttons, chaque jour, pour avoir un accès aux services égal à celui des anglophones, mais en français. Nous retirer notre voix, c’est porter une atteinte directe au journalisme en général.

Lorsque l’initiative avait été adoptée en 2019, nous avions perdu près de 27 % de notre financement. Si à première vue, ce chiffre ne semble pas conséquent, quoique ce soit tout de même un quart de notre financement habituel, La Rotonde avait tout de même dû prévoir de supprimer certains emplois. Mais surtout, nous avions dû cesser la publication des tirages papier à titre hebdomadaire. Et pour un journal quasiment centenaire, ça fait plutôt mal. Parce que malgré tous nos efforts, malgré les heures que nous passons à chercher du contenu, à le rédiger, à le corriger et à le publier, notre survie dépend uniquement d’un juge, totalement déconnecté avec la réalité universitaire. N’est-ce pas ironique de devoir lutter pour notre survie, que ce soit à cause de la pandémie, ou à cause de l’ILCE ?

Impossible donc d’ignorer l’importance du journalisme étudiant, qu’il faut à tout prix protéger ; vous vous en êtes sûrement déjà rendu.e compte si vous lisez La Rotonde. Mais le journal n’est pas le seul service non essentiel à risquer littéralement sa voix et sa vie dans cette affaire d’ILCE. 

Condamnés à l’oubli ?

Les programmes jugés essentiels comprenaient les sports et les loisirs, les services de carrière, la santé et le conseil, le soutien scolaire, ou encore les programmes de sécurité sur le campus. Penchez-vous sur les services jugés superflus par une bande de politicien.ne.s déphasé.e.s de la réalité ; ça en dit long sur l’importance que le gouvernement provincial accorde aux étudiant.e.s. Au revoir les services relatifs à la vie étudiante, à l’aide financière, la clinique d’aide légale, le Bureau de l’ombudsman ou encore la radio.

Rendez-vous compte de leur importance ; sans eux, la vie universitaire au sein de l’U d’O serait bien différente. Le recteur et vice-chancelier Jacques Frémont disait que « l’implication sociale des étudiant.e.s […] est en jeu ». Autoriser l’ILCE, c’est accentuer le détachement préexistant entre les étudiant.e.s et les services concernés. C’est accentuer les injustices frappant déjà les populations étudiantes vulnérables. C’est condamner une variété de services et d’initiatives qui sont fournis sur le campus et au-delà.

Si par malheur l’ILCE venait à être réinstauré, rappelez-vous bien qui place votre bien-être et vos intérêts au coeur de ses priorités.

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