Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique
Chronique rédigée par Hai Huong Lê Vu — Journaliste
En 2024, une enquête sur la réduflation au Canada a révélé une réduction moyenne de 14,3 % des formats de produits depuis les 20 dernières années. Bien que des cas de réduflation existent depuis les années 1980, la plupart sont récents. En tant qu’étudiante internationale à Ottawa, je ne peux m’empêcher de ressentir une profonde insatisfaction face à cette inflation cachée, qui affecte ma vie quotidienne ainsi que celle de mes camarades, qu’ils.elles soient internationaux.ales ou locaux.ales.
Par définition, la réduflation se manifeste par la diminution des quantités de produits sans que le prix ne change. Entre 2021 et 2024, 37,6 % des produits ont subi des réductions de format, et près de 300 produits sont concernés par celle-ci.
La stretchflation, quant à elle, augmente subtilement les prix tout en modifiant les portions, rendant la prise de choix éclairés difficile pour les consommateur.ice.s. Par exemple, un produit voit son poids passer de 700 à 500 grammes, mais son prix augmente de 25 %. Ces ajustements sont souvent dus à la hausse des coûts des matières premières, comme le sucre, qui a augmenté de 50 % en cinq ans.
Restrictions et frustrations
À Ottawa, le coût des denrées alimentaires a explosé, avec une hausse de 19,1 % de 2018 à 2022, laissant de nombreux Canadien.ne.s inquiet.e.s. Cette pression financière est accablante pour des étudiant.e.s qui, selon moi, ne devraient pas s’inquiéter de leur survie. En hiver, les conditions rendent presque inévitables de faire ses courses dans des magasins à proximité, même s’ils ont des prix plus élevés.
La politique canadienne actuelle privilégie les grandes chaînes locales, telles que Loblaws. En même temps, elle restreint la concurrence internationale, ce qui complique davantage la situation. En effet, elle permet aux supermarchés domestiques de devenir price makers, ou fixeurs de prix.
Je pense que beaucoup de mes camarades partagent ce sentiment de frustration face à ces augmentations cachées des prix. La situation est encore plus difficile pour les étudiant.e.s internationaux.ales, qui paient cher pour étudier au Canada, et qui ne peuvent pas travailler plus que 24 heures par semaine hors campus pendant leurs études à temps plein, ce qui limite leur capacité à répondre à leurs besoins essentiels.
Comparant le Canada avec mon pays natal, le Vietnam, un pays riche en produits agricoles, je constate que les prix des légumes y sont généralement plus abordables. Cependant, même au Vietnam, je remarque le phénomène de la stretchflation. Par exemple, les chips, qui étaient vendues à environ 0,28 dollar canadien il y a huit ans, coûtent maintenant environ 1,11 dollar canadien, avec une réduction de la taille de l’emballage. Ce prix, bien qu’apparemment modeste, prend une tout autre dimension quand on considère le produit intérieur brut par habitant et le pouvoir d’achat au Vietnam.
Justice sociale, où es-tu ?
John Rawls, dans sa théorie de la justice, propose que les inégalités sociales et économiques ne puissent être justifiées que si elles bénéficient aux plus défavorisé.e.s. Cependant, la réduflation et la stretchflation créent des inégalités qui pénalisent directement les groupes vulnérables, y compris les étudiant.e.s. Les grandes entreprises profitent de ces pratiques, laissant les consommateur.ice.s, en particulier ceux.celles avec des budgets serrés, se débattre face à des choix de consommation restreints.
Cette situation, à mes yeux, met en lumière l’absence de régulations adéquates qui devraient protéger les plus vulnérables et garantir un accès équitable aux produits de base. La réglementation des entreprises face à ces pratiques injustes doit être renforcée pour garantir à tout le monde l’accès à des aliments abordables et de qualité.
Il est temps que des initiatives soient mises en place pour garantir le droit à l’alimentation. Ce dernier, tel que défini par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, doit être reconnu et respecté, cependant, il reste absent de la Constitution canadienne.
L’insécurité alimentaire est également un problème croissant au Canada, touchant 16,9 % de la population en 2022, soit presque une personne sur cinq. Sans doute, cela concerne aussi de nombreux.ses étudiant.e.s qui jonglent avec des frais de scolarité en constante augmentation, le coût du logement et des dépenses quotidiennes. Pour moi, cela signifie faire des choix stratégiques : par exemple, au lieu d’acheter du porc, j’ai dû me tourner vers la carcasse de poulet, qui est un peu moins cher.
Pour surmonter les défis socio-économiques
La vie à Ottawa, bien que riche en expériences, est pleine de défis économiques : la réduflation et la stretchflation sont des réalités que nous devons reconnaître et aborder. Il est impératif que nous travaillions ensemble pour promouvoir une plus grande transparence et une meilleure régulation des pratiques commerciales.
Si vous souffrez d’insécurité alimentaire, la Banque alimentaire est située à UCU 0022, dans le Centre universitaire Jock Turcot. Ce comptoir vise à fournir une aide d’urgence aux étudiant.e.s de premier cycle de l’Université d’Ottawa et à leur famille. Malgré les problèmes internes, la Banque alimentaire reste ouverte tous les lundis, mercredis et jeudis.
Ce qui reste à questionner, c’est l’avenir des formats de produits et leur impact sur notre pouvoir d’achat. Si nous ne faisons pas entendre nos voix maintenant, comment espérer un avenir où nos besoins fondamentaux seront satisfaits ?