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Sports et bien-être

Lutter pour un terrain égal : l’exemple de l’équipe nationale de soccer

Dawson Couture
11 mars 2023

Crédit visuel : Marie-Ève Duguay – Rédactrice en chef 

Chronique rédigée par Dawson Couture – Chef du pupitre Sports et bien-être

La dernière décennie fut charnière pour l’équipe nationale de soccer féminin, avec la participation à deux Coupes du monde, dont une sur le territoire canadien, et à trois Jeux olympiques, dans lesquels les joueuses ont remporté deux médailles de bronze et une médaille d’or. Nul n’aurait donc pu s’attendre à ce que l’équipe soit confrontée à des réductions financières avant la prochaine Coupe du monde. Si seulement les femmes se laissaient faire sans se battre

« Trop, c’est trop »

Le mois dernier, les joueuses de l’équipe nationale de soccer ont entamé une grève contre Soccer Canada (SC). Dans leur lettre ouverte, elles dénoncent les coupures dans le programme féminin et réclament un financement équitable à celui des hommes. « Nous sommes fatiguées. Fatiguées de devoir constamment nous battre pour un traitement juste et équitable, et pour un programme qui nous donnera une chance de réaliser ce que nous savons que cette équipe est capable de réaliser pour le Canada », ont-elles exprimé.

Elles expliquent qu’en raison du manque de financements, les jours de camp d’entraînement ont été réduits et plusieurs autres camps ont même été annulés entièrement. De plus, la quantité de joueuses et de membres du personnel invités aux camps a aussi été réduite, tout comme les activités des équipes de jeunes (U17, U20). L’équipe féminine ne jouera également aucun match à domicile, une absurdité pour un pays qui avait accueilli la Coupe du monde en 2015. Les joueuses n’avaient d’ailleurs pas conclu d’accord collectif pour l’année 2022.

Lors du match d’ouverture de la Coupe SheBelieves contre les États-Unis, les joueuses ont défié les conventions en portant par-dessus leur maillot national des chandails violets – couleur associée à l’égalité des genres – avec les mots « enough is enough » inscrits. Les Américaines se sont jointes aux Canadiennes au centre du terrain après les hymnes afin de montrer leur solidarité.

L’équipe féminine n’avait pas terminé. Dans leur lettre, elles ont insisté qu’« il faudra envisager un changement de leadership » à SC si un support équitable entre hommes et femmes n’est pas atteint. Les hommes ont enchaîné dans leur propre lettre ouverte en soulignant qu’ils demanderaient l’intervention de la ministre fédérale des Sports, Pascale St-Onge, si SC ne réagissait pas.

Une saga canadienne

Si cette histoire suscite un sentiment de déjà vu, c’est parce qu’en 2021, l’équipe masculine avait partagé une expérience similaire en amont de la Coupe du monde au Qatar. Les joueurs se posaient la même question que leurs homologues féminines aujourd’hui : « mais, où est l’argent ? ».

Cela sous-tend un thème persistant à SC : une mauvaise gestion financière. En 2018, l’organisation a conclu un accord de 20 ans avec une agence nommée Canadian Soccer Business (CSB), liée aux propriétaires de la Première ligue canadienne. L’accord garantit un niveau de revenus de base de trois millions de dollars par an. La grande majorité des profits, principalement tirés des parrainages et de la radiodiffusion, va donc à CSB. Alors que le soccer canadien surgit sur la scène mondiale, les joueur.se.s estimaient que l’accord « a complètement compromis la capacité [de Canadian Soccer] à tirer parti du succès sur le terrain de nos équipes nationales seniors ».

S’il est sans doute crucial que d’importants changements structuraux soient effectués à SC, cela n’enlève pas le fait que l’équipe féminine est particulièrement visée par les coupures budgétaires. Dans le rapport annuel de l’organisation pour 2021, on apprend que 39 % des fonds furent alloués cette année-ci à l’équipe masculine, tandis que seulement 18 % étaient destinés aux femmes. On estime que la somme des coupures dans tous les programmes de SC cette année représente près de l’entièreté des dépenses pour le programme féminin en 2021, soit cinq millions de dollars.

Il est donc naturel que l’équipe féminine ait exigé dans sa lettre ouverte un « changement immédiat » de la fédération afin qu’elle « respecte son engagement public envers l’équité entre les sexes et son obligation comme organisme national responsable du soccer au Canada, de faire progresser le sport au lieu de le faire régresser ».

Une nouvelle lutte, une nouvelle victoire ?

Le 2 mars 2023, les demandes de la formation féminine et masculine ont été traduites en action, ou du moins en partie. SC a conclu un nouvel accord de principe intermédiaire qui touche, entre autres, à la compensation des joueuses pour l’année 2022. Plus encore, Charmaine Crooks a pris la relève de Nick Bontis à la tête de l’organisation, devenant la première femme présidente de SC.

En vue des controverses qui ont affligé l’équipe féminine, il était d’autant plus important de nommer une athlète à la tête de l’organisation. La représentation compte, même si ceci n’est qu’un début.

La capitaine de l’équipe, Christine Sinclair, ainsi que trois de ses coéquipières, qui viennent tout juste de remporter une médaille d’or aux Olympiques de Tokyo, ont comparu devant le Comité permanent du patrimoine canadien afin de plaider leur cas pour un financement adéquat. La réalité est qu’en raison de la mauvaise gestion financière de l’organisation de soccer canadien, l’appui du gouvernement fédéral sera essentiel et même nécessaire en vue des derniers scandales à Hockey Canada.

La plus récente proposition de convention collective prévoit maintenant une égalité salariale entre les deux formations et suggère un partage équitable des bourses en compétition, notamment de la Coupe du monde au Qatar. L’entente stipule également que l’agence CSB serait ouverte à modifier son contrat avec CS.

En quelques semaines, une vingtaine d’athlètes et leur personnel ont réussi à changer la face de leur fédération en forçant cette dernière à respecter ses engagements en matière d’équité. Elles sont maintenant sur le point de devenir la première ou deuxième équipe nationale féminine la mieux payée parmi les 211 pays membres de la FIFA. Au final, il semble n’y avoir qu’une garantie dans le sport féminin : la volonté et la persévérance des athlètes féminines d’obtenir un traitement juste et équitable payera toujours.

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