Inscrire un terme

Retour
Sports et bien-être

Ouvrir la boîte de Pandore : les paris sportifs en ligne

Dawson Couture
21 janvier 2023

Crédit visuel : Nicholas Monette – Directeur artistique 

Article rédigé par Dawson Couture – Chef du pupitre Sports et bien-être

Le 29 juin 2021, le Canada a suivi l’exemple des États-Unis en légalisant les paris sportifs sur des matchs uniques. La Loi sur le pari sportif sécuritaire et réglementé a ouvert la voie à une véritable explosion de l’industrie au pays. Le gouvernement de Doug Ford ayant autorisé les opérateurs tiers en Ontario, la boîte de pandore est maintenant grande ouverte tant quant aux profits qu’aux défis du pari sportif en 2023.

L’ascendance des paris sportifs

Luc Dupont est professeur agrégé de communication à l’Université d’Ottawa (U d’O). Ce dernier explique que les paris sportifs ne sont rien de nouveau en Amérique du Nord. Avec la montée précipitée de la télévision par câble dans les années 80 et 90, Dupont indique que les Canadien.ne.s ont foncé sur l’industrie du pari sportif. Ces dernier.e.s faisaient des parleys – deux ou plusieurs paris liés en un seul – sur des matchs de football américain et de basketball.

Cela fut le statu quo pendant plus de trois décennies : les paris sportifs étaient perçus comme des inconvénients et restreints par le gouvernement, selon Dupont. Il explique que le sport au Canada a toujours voulu se dissocier des jeux d’argent. Ce sentiment est alimenté, ajoute-t-il, par une peur du trucage des matchs. Les consommateur.ice.s se sont donc tourné.e.s vers le marché gris pour parier sur des matchs individuels, une industrie qui, selon Dupont, récoltait 14 milliards de dollars par année au Canada avant 2021.

Les avancées technologiques des dernières années ont changé le jeu de deux façons majeures, d’après Dr Michael Naraine, professeur associé de gestion sportive à l’Université Brock. L’omniprésence des caméras a rendu le sport plus fiable pour les parieur.se.s, tandis que les sites web et les applications mobiles ont rendu les paris plus pratiques. « Soudainement, Las Vegas est dans mes culottes ! », s’exprime Dupont.

La pandémie a cependant été la goutte qui a fait déborder le vase, selon le professeur de communication. Avec la baisse drastique des revenus, Dupont souligne que les équipes, les médias et les gouvernements ont eu à se tourner vers les compagnies de paris sportifs afin de combler les pertes. Selon ce dernier, cette industrie devrait rapporter 28 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années. Le gouvernement, quant à lui, récolte 20 % des paris sportifs individuels, ajoute Naraine.

L’omniprésence des publicités

L’Ontario offre aujourd’hui 27 sites de paris sportifs réglementés, dont Bet365 et DraftKings. Les opérateurs dépensent en moyenne 700 dollars pour l’acquisition de nouveaux.elles client.e.s et peuvent s’attendre à un retour d’environ 2 000 dollars par personne, d’après Naraine. « Ils ont des poches profondes et ils sont prêts à mettre du temps et de l’effort pour acquérir des clients », insiste le doctorant à l’U d’O.

Les publicités de paris sportifs ont donc explosé au cours des dernières années. Que ce soit à la télévision ou sur les réseaux sociaux, Dupont soutient que les opérateurs ont eu beaucoup de succès à normaliser et à rendre attrayant une activité qui était autrefois illégale. L’auteur de quatre éditions transcontinentales sur la publicité souligne que leur « plus grande réussite » était de transformer la mentalité des gens au sujet des paris sportifs. 

Au-delà de la publicité, ces compagnies emploient diverses stratégies pour séduire les consommateur.ice.s, y compris apparier des paris ou offrir des paris sûrs (sure-thing). Ces offres ne sont pas anodines. Comme l’explique Naraine, une fois un.e client.e recruté.e et ajout.é.e à leur base de données, « c’est game over ! ». En cherchant à démontrer leur connaissance du jeu et leur passion pour le sport, ils.elles peuvent perdre des fortunes, ajoute-t-il.

Lever le rideau

« La force du sport, c’est son imprévisibilité ; on ne pourrait pas prévoir que l’Arabie Saoudite batte l’Argentine », insiste Dupont, qui a suivi de près la Coupe du monde 2022. En plus d’un revenu additionnel pour le gouvernement lors d’une crise du système de santé, Naraine est d’avis que les paris sportifs créent les conditions pour un engagement supplémentaire continu parmi la Génération Z et les milléniaux.

Parieur sportif depuis l’adolescence, Naraine admet désormais que cet engagement peut être synonyme de dépendance. Selon une enquête de Santé publique France, 15 % des parieur.se.s sportifs risquent de basculer « dans une pratique problématique ».  Cela peut avoir des répercussions sévères, comme le développement de troubles anxieux, l’isolement social, le surendettement ou même le suicide. Naraine rappelle qu’ultimement, les paris sportifs ne sont en moyenne pas rentables sur le long terme.

Pour les deux intervenant.e.s, la réglementation semble donc inévitable. Les publicités dans lesquelles apparaissent des vedettes, comme Connor McDavid ou Auston Matthews, seront certainement en tête de l’ordre du jour, d’après Dupont. « Ils ont énormément d’ascendant auprès des cibles, c’est problématique », affirme-t-il.

Les exemples sont d’ailleurs nombreux d’incidents liés aux paris sportifs, notamment avec la Ligue canadienne de soccer, l’ex-arbitre de la National Basketball Association, Tim Donaghy, et le joueur de la Ligue nationale de hockey, Evander Kane. Dupont dénonce également le fait que plusieurs commentateur.ice.s sportif.ve.s soient payé.e.s pour faire du placement de produit. « Je te fais le pari que tôt ou tard, on se ramassera dans un immense scandale », déclare-t-il. Il reste à voir comment ce dossier évoluera au cours des prochaines années.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire