Inscrire un terme

Retour
Arts et culture

Des héroïnes oubliées

Jacob Hotte
1 novembre 2022

Crédit visuel : Courtoisie – ONU illustration/Hanna Barczyk

Chronique rédigée par Jacob Hotte – Contributeur

Le mois dernier était le mois de l’histoire des femmes au Canada. Tout au long du mois d’octobre, nous avons célébré la contribution des femmes au sein de la société. Cependant, pourquoi avons-nous pris l’habitude de surtout souligner les accomplissements de femmes qui ne représentent qu’une des nombreuses réalités de notre monde d’aujourd’hui ?  Pourquoi les femmes de groupes marginalisés ne sont-elles que rarement incluses dans ces célébrations ? Qui sont ces femmes, et qu’ont-elles accompli ?

Je remarque que lorsque nous parlons de figures féministes au Canada, nous parlons majoritairement de femmes blanches, cisgenres et hétérosexuelles. Que nous fassions référence aux « Célèbres Cinq » ou aux suffragettes, ces femmes partagent toutes une réalité commune.

S’il est vrai que la diversité n’était pas autant reconnue à l’époque des suffragettes, par exemple, ce ne sont pas seulement des femmes blanches et hétérosexuelles qui ont participé aux mouvements féministes. De fait, certaines de ces femmes, étant considérées comme le visage du féminisme, ont ouvertement exclu les femmes racisées et non hétérosexuelles de leurs travaux. À cause de cela, les femmes qui se sont réellement battues pour leurs communautés ont été ignorées et même oubliées.

L’intersectionnalité, dans tout cela ? 

Le mouvement féministe est né vers la fin du 19e siècle et a finalement pris son envol au début du 20e siècle. Cependant, ce n’est qu’à partir des années 1980 que nous avons finalement exploré les contextes sociaux qui forment les réalités uniques des femmes. C’est par l’intersectionnalité que des femmes afro-américaines comme Patricia Hill Collins ou Kimberlé Crenshaw ont tenté d’expliquer les différentes dynamiques qui rendent uniques les expériences de chaque femme.

La notion d’intersectionnalité a été élaborée par la juriste américaine Kimberlé Crenshaw en 1989 dans le but de mettre en évidence les limitations de la loi par rapport au traitement de discrimination qu’une femme noire avait vécu au travail. Le terme d’intersectionnalité s’est popularisé davantage dans les années 2000, permettant de mettre en avant la complexité et la diversité des identités. Ce concept souligne l’importance de la prise en compte des différences existant entre les femmes, mais aussi les liens entre ces identités et les différentes formes d’oppression. Les divers systèmes de pouvoir existent simultanément et ne sont pas dissociables les uns des autres. Une femme noire vivra par exemple à la fois du sexisme et du racisme, les deux jouant mutuellement l’un sur l’autre pour créer une expérience particulière.

La troisième vague féministe a tenté d’inclure les expériences des femmes non normatives. Les voix des majorités qui étaient autrefois dominantes ont finalement donné place aux voix minoritaires et ont commencé à inclure des questions de genre, mais aussi de race, de sexualité, de handicap, entre autres, dans les espaces féministes. Des femmes comme Awa Thiam et Kimberlé Crenshaw se sont fait reconnaître pour leur pensée féministe intersectionnelle et incluant les expériences des femmes noires dans des espaces traditionnellement blancs.

Des visages cachés

Il existe plusieurs femmes importantes qui sont souvent ignorées dans les luttes féministes. Dans l’histoire du Canada, nous pouvons penser à Rosemary Brown, Mary Two-Axe Early, Makeda Silvera et Mary-Woo Sims, par exemple. Au lieu de se limiter à une cause féministe unique, celles-ci ont inclus les différences entre les femmes, dans le but de créer un activisme nouveau.

Rosemary Brown a été la première femme noire élue au gouvernement de la Colombie-Britannique, ainsi qu’à une élections législative provinciale canadienne. Née en Jamaïque en 1930, elle s’est battue tout au long de sa vie contre le racisme et le sexisme qu’elle a subis. Après sa carrière politique, elle a été nommée cheffe du Commissariat des droits humains en Ontario et a gagné plusieurs prix et distinctions, comme celle de l’Ordre du Canada, ainsi que celle de la Colombie-Britannique.

Mary Two-Axe Early, quant à elle, est née à Kahnawake au Québec, en tant que femme Mohawk et Oneida. Elle a surtout lutté pour les droits des femmes autochtones, incluant la discrimination genrée de la Loi sur les Indiens. Elle a créé l’organisation Equal Rights for Indian Women et a cofondé Québec Native Women’s Association. Après avoir perdu son statut de femme autochtone en mariant un homme blanc, elle l’a repris en 1985 suite à l’adoption de la Loi C-31 par le gouvernement fédéral. Cette loi a en effet établi l’égalité de genre quant au traitement des personnes autochtones.

Makeda Silvera a émigré de la Jamaïque vers le Canada à l’âge de 12 ans. Elle a fondé en 1985, avec sa partenaire Stéphanie Martin, une maison d’édition de petite presse. Sister Vision Press a été la première maison d’édition dédiée à la publication d’écrits par et pour des femmes racisées. Les deux femmes ont eu beaucoup de difficulté dans leur mission, surtout en tant que couple lesbien et noir. Elles ont quand même réussi à publier plusieurs travaux, qui portaient majoritairement sur le lien entre le genre et la race au Canada, aux Caraïbes et dans d’autres endroits défavorisés à travers le monde. 

Finalement, Mary-Woo Sims, née à Hong Kong, est venue s’installer au Canada en tant qu’étudiante en 1970. Celle-ci a travaillé auprès de plusieurs communautés à Vancouver et à Toronto, notamment en fondant avec d’autres membres Women Against Violence Against Women. Elle a également mis en place les premiers plans pour une Politique portant sur le traitement des personnes atteintes du SIDA dans le milieu du travail à Toronto. En entrevue avec La Rotonde, elle dit avoir trouvé son inspiration auprès des difficultés qu’a subies sa mère en tant que femme : son manque d’accès à l’éducation, par exemple, a encouragé Sims à se battre pour l’équité et la justice sociale. Sims décrit également avoir été victimes de plusieurs discriminations au travers de sa vie, en tant que femme racisée et queer.

Cette dernière ajoute que des préjugés et des stéréotypes lui ont souvent empêché de vivre ce qu’elle était vraiment. Elle avoue qu’elle aurait voulu voir plus de représentation de la part des personnes racisées, mais reconnaît que plusieurs actions discriminatoires prises par le gouvernement, dont la Loi d’exclusion des Chinois, les empêchaient d’en faire autant.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire