Crédit visuel : Jürgen Hoth — Photographe
Chronique rédigée par Daphnée-Maude Larose — Journaliste
En 2022, le Canada a pu observer son taux de fécondité le plus bas dans son histoire. Pour diverses raisons, de nombreuses femmes ne souhaitent pas avoir d’enfants, ni maintenant ni dans le futur. Alors que d’autres, tels que l’auteure Sarah-Maude Beauchesne et moi, hésitent. Étant déjà incertaine par rapport à ma propre décision, son récit portant sur le sujet m’a poussé à effectuer mes propres réflexions.
En parcourant l’actualité un matin, je suis tombé sur un article de La Presse qui présentait le nouveau récit de Beauchesne, Faire la romance. Je me reconnais aussitôt dans ce qu’elle partage et la raison de cette récente œuvre ayant pour but de l’aider à « accepter de ne pas vouloir [d’enfants]. Mais aussi, peut-être, pour [l]’aider à accepter [d’en] vouloir », exprime-t-elle.
Beauchesne ajoute aussi une phrase qui, je crois, est fort vraie : « L’incertitude, quand elle est liée à la volonté d’être mère ou non, est peu discutée ». C’est pourquoi j’en discute maintenant.
Un deuil obligatoire
J’ai deux sœurs, deux frères, deux chats et un chien, réparties dans deux différentes maisons. Si je devais décrire mon environnement familial en un mot, ce serait « agité », dans tous les sens positifs que ce terme offre. Le calme est une ambiance qui ne règne jamais très longtemps chez moi. C’est pourquoi, lorsque j’essaie de m’imaginer une vie future de quiétude et de tranquillité — donc sans enfant — c’est plutôt difficile, et même indésirable.
En revanche, c’est épeurant de devenir une mère. Beauchesne décrit bien mon questionnement lorsqu’elle se demande : « Est-ce que je vais consacrer les années qui s’étendent de tout leur long devant moi à m’occuper d’un enfant ? ». Devenir une mère, c’est essentiellement voir son identité être totalement modifiée ou, du moins, se voir imposer une nouvelle facette identitaire considérable.
Comme de nombreuses personnes, je me retrouve à devoir décider entre deux deuils aussi difficiles l’un que l’autre. Le deuil des enfants que je n’aurai jamais ou le deuil de mon identité en tant que femme sans enfant.
L’auteure se demande aussi : « Est-ce qu’au contraire, tout est à inventer, puisque le modèle d’une femme qui n’est pas mère m’est quasi inconnu ? ». C’est pour cette raison que ne pas avoir d’enfant est tout aussi effrayant. C’est suivre un chemin qui n’est pas tracé. Je vois parfois cela comme un énorme cadeau, comme un dessin qui me permet d’ajouter toutes les couleurs que je désire. Alors que d’autre fois, j’ai plutôt l’impression qu’il s’agit d’une page blanche et que je suis une peintre en grand manque d’inspiration. Comment puis-je réellement combler tous les temps libres que j’aurais si je n’avais pas d’enfants ? Dois-je combler chaque moment ?
Sans dire que leur vie n’est plus facile ni plus magnifique, je jalouse celles dont le choix est parfaitement clair. C’est une certitude qui n’est pas le privilège de chacune.
Quand je tente de prendre une décision, je fais de la visualisation. Je m’imagine avoir un enfant, être enceinte, et je pense beaucoup à la réaction des autres. Je vois de grandes annonces de grossesses comme celles qu’on trouve sur les réseaux sociaux. Ça a l’air bien, heureux, plaisant.
Ce n’est que tout récemment que je me suis demandé quelle serait ma réaction à moi. Seule avec l’évidence entre les mains. J’ai le regret d’affirmer que je n’ai aucune réaction dans ces scénarios. Rien. Ou plutôt, une ambivalence égale de joies et de regrets. Même le « moi » imaginaire n’est pas certain de comment elle devrait se sentir.
Allez à contre-courant
Ne pas vouloir être mère est aussi un choix mal vu par la majorité de la société. Les exemples de femmes « sans enfant » dans les médias se font grandement critiquer. Un exemple parmi d’autres est Arielle Lorre qui reçoit sur Tik Tok des commentaires tels que : « Pas d’enfants ? Quel est le but de ta vie alors ? » Certaines mères voient ce style de vie comme une réponse arrogante et égoïste à la beauté de la maternité…
La société est assez hypocrite. D’une part, elle aime bien se plaindre des femmes qui n’ont pas ou ne veulent pas d’enfants. Lors de moments où j’étais certaine de ne pas en vouloir, je rencontrais constamment des « tu vas voir, tu vas changer d’idée ». D’autre part, celles qui en ont ne doivent pas montrer leur corps. Il n’est plus ce qu’il était et, de toute manière, les mères ne devraient pas montrer trop de peau !
Lors d’un cours de cinéma sur les monstres, nous avons beaucoup discuté de la mère comme figure monstrueuse, autant sur le plan physique que moral. Faisant partie d’une classe composée uniquement de femmes, mon professeur a aimé nous entendre dialoguer sur ce sujet. Lors d’une session, en guise de réponse à une question, une étudiante à souligner que si elle devenait mère, elle allait économiser afin d’avoir des fonds pour un « relooking de mère », c’est-à-dire des chirurgies esthétiques, des soins beauté et autres pour donner suite à son accouchement. Ce qui est triste est que ce n’était pas la première fois que j’entendais ce terme et que plusieurs autres femmes dans mon cours semblaient être d’accord.
Beauchesne croit que c’est « la faute des hommes surtout, qui jettent sur les femmes, depuis des millénaires, la honte d’exister, d’habiter ce corps, de saigner, d’avoir mal, de donner la vie. » Selon moi, cela en dit beaucoup sur la société et sa perception des corps maternels. Ils ne peuvent pas rester comme ils sont puisqu’ils sont laids et moindres.
L’influenceuse québécoise, Cassandra Bouchard, a publié une vidéo récemment affichant son corps post-partum. Elle partage qu’elle aimerait retrouver son corps d’avant, mais que c’était difficile et que ce n’était pas réaliste pour toutes les femmes. « Le problème c’est que la société glorifie un seul type de corps post-partum. Le problème est qu’on ressente une pression de devoir retrouvée notre corps d’avant », souligne Bouchard.
Beauchesne parle des photos d’accouchement de sa mère et énonce qu’elles semblent dire : « Regardez ce corps défait, il est fatigué et puissant et gorgé d’amour, regardez comme j’existe fort. » C’est ainsi que les mères devraient être vues. Peut-être que plus de femmes s’aventureraient dans la maternité si elle était conçue de cette façon, si la société les acceptait à bras ouvert. Peut-être que je suivrais le chemin de la maternité s’il était plus facile à prendre.