Crédit visuel : Dereck Bassa – Photographe
Article rédigé par Marie-Ève Duguay – Cheffe du pupitre Arts et culture
La question de la transmission de la langue et la culture francophone en est une qui touche plusieurs familles, surtout en milieu où le français est en situation minoritaire comme en Ontario. Entre politiques linguistiques, craintes d’assimilation, scolarité… qu’en est-il des enfants issu.e.s de couples exogames ?
Phyllis Dalley est professeure à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa (U d’O) et se spécialise en éducation francophone en milieu minoritaire. Elle définit la notion d’exogamie comme désignant une union bilingue, parfois biculturelle, entre deux partenaires.
La professeure indique que dans le cas d’exogamie francophone-anglophone, le couple peut décider qu’il n’y aura qu’une seule langue du foyer – cela correspond aux politiques linguistiques familiales. D’après Dalley, celles-ci ont un grand impact sur les enfants provenant de couples exogames.
Charles Castonguay est professeur titulaire retraité de l’U d’O. Lui-même anglophone francisé, il s’intéresse beaucoup aux comportements linguistiques et aux différentes configurations et dynamiques au sein des couples exogames. Les recherches récentes de Castonguay indiquent que le taux d’exogamie est en hausse : si 26 % des couples mariés vers la fin des années 1970 étaient exogames, les données linguistiques du recensement de 2016 démontrent que le taux est passé à 52 %.
École en français ou programme d’immersion ?
Dalley et Castonguay mentionnent que dans le contexte de l’exogamie, le rôle de l’école est très complexe. Le couple exogame qui voudrait transmettre la langue française à son enfant fait face à une question importante : serait-il plus bénéfique d’envoyer l’enfant à l’école francophone, ou dans un programme d’immersion ? La réponse varie.
« Il est vrai que l’école de langue française offre la possibilité d’atteindre un niveau de bilinguisme plus élevé que les programmes d’immersion », soutient la professeure de l’U d’O, « puisque contrairement aux programmes d’immersion, celle-ci offre un espace de socialisation et de construction identitaire francophone ». Elle ajoute que l’école de langue française est appropriée autant pour les enfants de couples exogames que pour les enfants de couples endogames, dans lesquels les deux parents sont francophones.
Ainsi, la décision d’envoyer son enfant dans une école de langue française ou non repose sur ce que désire le couple exogame. « Est-ce que le couple aimerait que l’enfant ait un sentiment d’appartenance à une communauté francophone? Si oui, l’école de langue française est appropriée. Est-ce que le couple aimerait simplement que l’enfant ait accès à un apprentissage fonctionnel du français ? Les deux options sont alors possibles », explique la professeure.
Marie-Claude Levert est résidente d’Ottawa et fait partie d’un couple exogame. Ensemble, le couple a trois enfants d’âge scolaire. Elle partage que ses enfants sont inscrit.e.s à une école de langue française, justement puisque le couple savait que leurs enfants « n’auraient pas de misère à apprendre l’anglais » et qu’il voulait mettre plus d’accent sur l’apprentissage de la langue française.
Craintes bien présentes
Malgré tout, Levert vit avec « la peur constante que [ses] enfants vont perdre leur français ». Elle déclare que les plus gros défis auxquels ses enfants se heurtent sont hors de son contrôle ; elle évoque notamment les échanges en anglais dans sa communauté et la pauvreté des services en français de la ville.
Dalley relève cependant qu’afin de « perdre » son français, il faut avant l’avoir acquis, et comme le démontrent les statistiques, ce n’est malheureusement pas le cas pour plusieurs. Selon ses recherches, le nombre d’enfants qui ne parlent pas la langue dès l’arrivée à l’école de langue française est très grand, et certain.e.s d’entre eux.elles ne parlent pas du tout français à la maison.
Ce phénomène ne se limite pourtant pas aux enfants issu.e.s de couples exogames ; de fait, en se basant sur les données du recensement de 2016, Castonguay explique que 10 % des enfants issu.e.s de couples endogames francophones ont l’anglais comme langue première.
« Il y aurait donc des comités d’admission d’écoles de langue française qui admettent des enfants qui ont deux parents anglophones et donc, qui n’ont aucun soutien en français », soutient Dalley. Pour Castonguay, cela représente un grand danger d’assimilation pour les communautés francophones.
Et la pandémie ?
La professeure à l’U d’O fait également mention des difficultés engendrées par la pandémie, qui aurait rendu la transmission du français encore plus compliquée chez les couples exogames ayant des enfants en âge scolaire. Elle évoque des témoignages d’enseignant.e.s qui affirment que les enfants issu.e.s d’un couple exogame dont le parent francophone est un.e professionnel.le de la santé ont parfois moins de support en français, puisque son parent francophone passerait moins de temps à la maison.
Dalley souligne l’importance de poursuivre l’école de langue française en présentiel, puisque « souvent, les enfants de couples exogames qui font l’école en ligne ne peuvent pas avoir accès aux mêmes ressources linguistiques que les enfants de couples endogames francophones ».
Responsabilités parentales
Les deux professeur.e.s confirment que l’école n’est pas suffisante pour assurer la maîtrise du français pour les enfants de couples exogames et que les parents ont ainsi un grand rôle à jouer au niveau de la transmission.
Afin d’assurer le maintien de la langue française et l’intégration du bilinguisme au sein de sa famille, Levert avoue adopter une routine rigide. Ses enfants regardent la télévision et lisent strictement en français. Ils.elles communiquent entre eux.elles et avec leur mère en français, tandis qu’il.elle.s s’adressent à leur père en anglais. Levert se considère chanceuse « d’avoir un partenaire qui voit aussi l’importance de la langue française ». Elle soutient que celui-ci fait un effort pour participer à la transmission de la langue et qu’ensemble, le couple a la capacité de défendre l’importance du bilinguisme et de leur culture franco-ontarienne.
Les données des pratiques linguistiques des citoyen.ne.s du recensement de 2021 ne sont pas encore disponibles pour le moment : elles sortiront en août 2022. Castonguay estime cependant que les tendances n’auront pas tant changé, et que le taux d’exogamie aura sans doute augmenté.