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Dépendance sports
Sports et bien-être

La dépendance au sport, une addiction pas comme les autres ?

Emily Zaragoza
1 novembre 2023

Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah — Directrice Artistique

Article rédigé par Emily Zaragoza — Journaliste

Les bienfaits de l’activité physique sont souvent mis en avant par des institutions telles que l’Organisation mondiale de la santé afin de lutter contre la sédentarité et l’épidémie mondiale d’obésité. À l’autre extrême, la pratique excessive d’une activité sportive peut elle aussi être néfaste. Faire du sport — à outrance — est pourtant vu par certain.e.s de manière positive dans une société qui prône le dépassement de soi. Comment fixer la limite entre passion et addiction ?

Dépendance au quotidien

Pour Nicolas Moreau, docteur en sociologie et professeur titulaire à l’École de travail social de l’Université d’Ottawa (l’U d’O), il existe deux types de dépendances : les addictions aux substances (alcool, drogues, médicaments) et les addictions comportementales (sexe, travail, jeu, sport). Selon lui, la notion de sevrage est commune aux deux catégories. Il constate ainsi que dans le domaine sportif, les individus dépendants vont avoir beaucoup de mal à s’abstenir de s’entraîner, car il leur faut « leur dose quotidienne de sport, comme quelqu’un qui a besoin de sa dose d’opioïde ou de sa dose d’alcool ».

Stéphanie Bogue Kerr, étudiante en doctorat au sein de l’École de travail social de l’U d’O, affirme que les personnes aux prises avec la dépendance au sport souffrent de problèmes de modération. Selon elle, il est difficile pour ces dernières de respecter un plan d’entraînement et les limites imposées par le corps, donc elles finissent par se blesser. Elle précise que ce comportement destructeur survient parfois sous le regard des proches qui tentent de raisonner la personne, mais il n’est pas évident pour l’entourage de distinguer passion et addiction.

Selon la doctorante, le point de bascule est la souffrance : « S’il n’y a plus de joie qui vient du mouvement, alors ce n’est plus une passion. Cela devient une obligation. » Elle ajoute qu’une dégradation des relations sociales peut survenir, puisque le fait de penser constamment à l’activité physique peut conduire une personne dépendante à s’éloigner de son entourage. La dépendance peut altérer le fonctionnement et influencer tous les aspects de la vie, conclut-elle.

L’addiction au sport n’empêche pas toujours de fonctionner correctement, nuance Moreau. Au sein de l’échantillon d’une étude qu’il a menée au Canada auprès de 17 personnes se déclarant dépendantes au sport, il retrouve des individus occupant des professions qui parviennent à travailler et à avoir une vie de famille en dépit de leur addiction. Il constate que souvent, la stratégie adoptée est de réduire leur temps de sommeil en ne dormant que quatre à cinq heures par nuit.

Pour le professeur, la dépendance est souvent déclenchée par un « moment décisif », tel qu’un décès ou un divorce. Les personnes atteintes vivront « normalement », jusqu’au jour où l’arrêt forcé dû à une blessure les empêchera de fonctionner. Sans le sport, continue-t-il, elles ont l’impression d’être inexistantes socialement, car elles ont bâti leur identité à travers ce dernier. Contrairement aux autres addictions, certains « effets secondaires » de la dépendance au sport sont perçus positivement par la société, précise-t-il.

Addiction normalisée

Une pratique sportive addictive va produire un corps musclé et en santé, donc tout ce qui correspond à « l’idéal occidental normatif de beauté », affirme Moreau. Il constate que les médias mettent en avant ce type de profil devant servir de modèle : les athlètes à la télévision sont dépeints comme des « super-individus ». Il ajoute, par ailleurs, que les réseaux sociaux ont accentué cette tendance en créant un lien direct qui permet aux amateur.ice.s de s’identifier aux sportif.ve.s professionnel.le.s.

Si la ligne entre les athlètes de haut niveau et les amateur.ice.s devient plus grise, renchérit Bogue Kerr, la marchandisation y joue un rôle important. Elle avance que les marques incitent à acheter les mêmes équipements que les professionnel.le.s, en laissant croire qu’il sera alors possible d’égaler leurs performances. On assiste à une professionnalisation du milieu amateur : le sport devient comme un deuxième travail où il faut toujours se dépasser et où le plaisir disparaît, poursuit-elle.

D’après Moreau, si les sportif.ve.s sont érigé.e.s en modèles, c’est parce qu’ils.elles incarnent la norme en travaillant sur eux.elles-même et en étant très performant.e.s. Il remarque que la santé est vue par la société comme le résultat d’un travail sur soi.  Parce que la dépendance à l’exercice incite à une activité physique intensive, elle répond aux critères normatifs de la société, continue-t-il. Il nuance toutefois qu’une addiction va à l’encontre de l’une des normes centrales de la société : l’autonomie. Selon lui, les personnes qui souffrent de dépendance au sport sont rarement perçues comme étant « déviantes », car leurs pratique n’est pas aussi stigmatisée que l’addiction aux jeux d’argent, par exemple.

Le docteur en sociologie ajoute que dans les années 1970, il n’était pas rare de conseiller à une personne dépendante aux substances de transposer celle-ci au sport. Encore aujourd’hui, les milieux universitaires et médicaux se concentrent davantage sur d’autres addictions et enjeux. La dépendance au sport ne figure pas dans le DSM-5, bible psychiatrique qui consigne plus de 400 diagnostics en santé mentale, affirme-t-il. Cette décision s’explique, pour lui, par la volonté des professionnel.le.s de minimiser les effets possiblement nefastes du sport, car cela irait à l’encontre de la lutte contre la sédentarité.

Les personnes qui en souffrent peuvent demander de l’aide, notamment auprès du Centre de santé et mieux-être étudiant de l’U d’O, où divers types de ressources sont offertes aux étudiant.e.s.

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