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Liberté sous caution
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La mise en liberté sous caution toujours remise en question

Nisrine Nail
16 février 2024

Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah — Direction artistique

Article rédigé par Nisrine Nail — Cheffe du pupitre Actualités

Le gouvernement de l’Ontario a annoncé en avril 2023 l’investissement de plus de 110 millions de dollars dans le but de « moderniser » et de « renforcer » le processus de mise en liberté sous caution de la province. Le premier ministre ontarien Doug Ford affirme que cette initiative est une réponse à la « hausse de violence » dans la région et aux inquiétudes pour la sécurité publique. Presque un an plus tard, les mesures prises ne semblent pas générer les résultats positifs attendus.

Selon le Code criminel canadien, la mise en liberté sous caution est une procédure judiciaire où une personne inculpée d’une infraction criminelle est remise en liberté dans l’attente de son procès. Dans le cas contraire, si un tribunal juge qu’un individu pose des risques à la sécurité publique, celui-ci sera détenu en prison jusqu’à son procès, souligne le ministère de la Justice Canada.

Nicole Myers, criminologue et professeure associée au département de sociologie à l’Université Queens, convient qu’il existe deux groupes dans les prisons ontariennes. Elle indique que le premier regroupe les individus en détention provisoire. Ils.elles attendent que le tribunal décide s’il leur accorde la mise en liberté, ou s’il trouve une résolution aux accusations portées contre eux.elles, explique-t-elle. Le second rassemble des personnes reconnues coupables et condamnées à une peine de détention pour une durée d’au moins deux ans, poursuit la criminologue.

Un problème pressant

Depuis l’année dernière, le gouvernement de Ford a mis en place des mesures pour consolider la mise en liberté sous caution. Cette décision suit le meurtre d’un agent de la Police provinciale de l’Ontario par un individu mis en liberté sous caution.

Myers dénonce les conséquences de cette initiative : « Dans les prisons provinciales ontariennes, 80 % des détenus sont légalement innocents et 20 % ont été reconnus coupables et condamnés. La situation ne cesse d’empirer », affirme la professeure associée en sociologie. À son avis, ce problème fait en sorte qu’il y a trop de personnes en prisons, créant ainsi des soucis au niveau de la capacité de ces institutions carcérales en plus de prouver que cette manière de les gérer est inefficace.

Jeffrey Bradley, candidat au doctorat en études juridiques à l’Université Carleton et membre du Criminalization and Punishment Education Project (CPEP), renchérit qu’un système punitif n’accroît pas la sécurité des communautés. « En fait, c’est le contraire qui se produit », remarque-t-il.

La criminologue questionne aussi en quoi cette détention contribue à rendre les individus moins susceptibles de commettre des délits. « Je crains que davantage de mesures soient conçues pour cibler des personnes qui n’ont pas été condamnées ou qui ne le seront peut-être jamais », avoue Myers.

Les deux expert.e.s expriment leurs inquiétudes face au projet de loi fédérale C-48, récemment adopté au Sénat, qui modifie le Code criminel dans le but de restreindre les conditions de mise en liberté sous caution. « Ce n’est pas la bonne direction à prendre », soupire Bradley.

Coupable ou non coupable ?

Selon le doctorant en études juridiques, une des conséquences principales de rendre le processus de mise en liberté sous caution plus « ferme » est que le fardeau de la preuve se retrouve sur les personnes détenues qui doivent prouver leur innocence plutôt qu’à la Couronne qui devrait avoir le fardeau de démontrer comment cette personne est un risque pour la société. « Nous sommes censés présumer de l’innocence et non de la culpabilité », énonce Bradley. Myers ajoute que la majorité des individus en Ontario verront leurs accusations retirées et ne seront pas reconnu.e.s coupables ou condamné.e.s à la fin du procès.

Une seconde répercussion est celle de l’exclusion et de la marginalisation des gens détenus, avance le membre du CPEP. La professeure associée en sociologie rappelle que la détention prive ces personnes de leur emploi, de leur éducation, de leur famille et tout autre type de soutien. « Pour aider quelqu’un à mener une vie exempte de criminalité, on ne devrait pas les maintenir dans un système duquel nous essayons de les éloigner », estime Myers.

La criminologue mentionne un effet supplémentaire : « On oublie que le temps passé en détention provisoire est généralement déduit de la peine prononcée à l’issue du procès. » Elle relate que, par conséquent, les peines sont perçues comme clémentes. Ces dernières semblent courtes en raison du temps passé en prison au début du processus judiciaire, constate Myers. Selon elle, ce phénomène « réduit » le sentiment de justice.

Une réalité mise de côté

Bradley déplore que les médias ne soient pas assez « critiques » envers cet enjeu. « Il y a des gens qui croupissent derrière les barreaux pendant plusieurs années avant d’arriver à leur procès », précise le candidat au doctorat en études juridiques. D’après lui, il faut en discuter davantage et développer des mesures préventives au crime. En tant que membre du CPEP, il observe que plusieurs activistes se fatiguent en raison du manque de ressources et de soutien.

Myers suggère au gouvernement ontarien de réétudier sa manière d’administrer le droit pénal, afin de réduire le nombre de dossiers qui entrent dans le système judiciaire et de les traiter de manière efficace. « Nous devons être plus créatifs plutôt que de financer davantage les mesures de détention et la police », signale la criminologue. Celle-ci informe que, toutes allégeances politiques confondues, l’objectif est la sécurité publique. Il est donc nécessaire d’investir dans la communauté, conclut-elle.

La police d’Ottawa a publié ses statistiques annuelles lundi dernier, soulignant une hausse de 19,5 % des crimes haineux signalés en 2023.

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