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Arts et culture

Langue mère ou langue « mèyre » : la diversité des accents francophones 

Marie-Ève Duguay
20 mars 2022

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Article rédigé par Marie-Ève Duguay – Cheffe du pupitre Arts et culture 

Ottawa et ses environs font preuve d’une grande diversité linguistique. Que le bilinguisme de la ville soit contesté ou non, il reste que la région accueille effectivement plusieurs francophones d’origines différentes. Ainsi, les communautés francophones de la province sont teintées d’une panoplie d’accents différents. Comment expliquer ce phénomène, et quelles sont ses répercussions ?

Karim Achab est professeur de linguistique et de français langue seconde à l’Université d’Ottawa (U d’O). Il fait ainsi savoir que « le terme “accent” renvoie à des phénomènes divers qui varient en fonction des langues » et qu’il correspond donc à la « manifestation de l’intensité, de la hauteur ou de la durée d’une syllabe » dans une même langue parlée par de locuteur.ice.s différent.e.s.

Racines diverses

Achab précise qu’un accent peut trouver ses origines dans la langue maternelle d’un.e locuteur.ice, ou qu’il peut être le résultat d’une démarcation par l’évolution ou la préservation des « caractéristiques originales de la langue ». C’est d’ailleurs le cas du français dit « québécois », par opposition au français « standardisé », selon Achab.

Le professeur en linguistique ajoute que l’accent peut également être le résultat de « l’influence accrue d’une langue dominante ». C’est ce qui se passe dans les communautés francophones de la province, puisque les locuteur.ice.s sont constamment en contact avec la langue anglaise. En ce sens, les paramètres du français exposé à l’anglais ne sont pas les mêmes que ceux du français d’une région majoritairement francophone, d’où naissent les différents accents.

Français normalisé, français « sans accent » ?

Achab soutient que l’accent repose sur la perception de l’autre : « L’accent est relatif aux caractéristiques sonores ou phonétiques des locuteur.ice.s d’une langue, qui sont perçues comme différentes par d’autres locuteur.ice.s de la même langue ». Il illustre donc que les Québécois.es qui vont en France, par exemple, sont porteur.euse.s de leur accent québécois, puisque ce sont eux et elles qui viennent d’ailleurs. En revanche, les Parisien.ne.s qui viennent au Québec sont à leur tour porteur.euse.s de leur accent parisien. L’accent est de nature sociolinguistique, déclare-t-il, et le français sans accentuation n’existe donc pas. 

Christian Bergeron est sociologue et professeur à la Faculté d’éducation de l’U d’O. S’il croit également qu’il n’existe pas de français « sans accent », il observe de son côté l’existence de normes linguistiques. Ses recherches auprès de la communauté estudiantine de l’U d’O ont révélé que plusieurs étudiant.e.s, surtout au niveau international, croient que le français de France – quoiqu’il n’en existe pas qu’un seul – correspond à la norme et qu’il s’agit donc du français « standard ».

La valorisation de ces normes linguistiques entraîne une forme de hiérarchisation des accents francophones, poursuit Bergeron. Cette hiérarchisation, qui place souvent le français de France au haut de la liste en tant que « vrai » français, ne correspond pas toujours à la réalité sociolinguistique du milieu dans lequel les locuteur.ice.s se trouvent, surtout dans les milieux où le français est en situation de minorité

Répercussions accentuées

La diversité des accents semble faire naître des conséquences mitigées. Pour certain.e.s, comme Achab, « prendre un accent d’une communauté linguistique, c’est revendiquer son appartenance à cette communauté ». Le professeur témoigne d’ailleurs connaître plusieurs citoyen.ne.s venu.e.s d’ailleurs qui se sont établi.e.s au Québec et qui sont fier.ère.s de parler le français avec l’accent de la province. Mais pour d’autres, c’est tout à fait le contraire : Achab connaît également des gens qui sont « nourri.e.s de complexes, et qui essaient de se débarrasser [de l’accent], car ils ont peur des préjugés ».

Cette crainte ne semble pourtant pas être mal-fondée. La langue française est très « élitiste », d’après le professeur en sociologie, et la diversité des accents francophones en Ontario est souvent source d’inégalités. De fait, il mentionne que 40 % des étudiant.e.s de l’U d’O qui ont participé à ses études sur l’insécurité linguistique et la glottophobie –  concept qui désigne la discrimination en raison de la langue – témoignent avoir vécu une forme de discrimination en raison de leurs accents.

Bergeron spécifie que cette discrimination ne se limite pas à de simples remarques : « Certain.e.s peuvent se faire refuser des emplois ou des logements, peuvent recevoir de mauvaises notes et se faire harceler » si le français parlé ne correspond pas aux normes établies. Cette forme de discrimination n’agit pourtant pas seule : elle se vit différemment selon les milieux et s’ajoute parfois au sexisme, au racisme et à la xénophobie. 

Bergeron relève finalement que souvent, dans le contexte francophone ontarien, les francophones et les francophiles ont tendance à percevoir la menace du français comme étant externe, l’ennemi principal étant les anglophones et leur langue. Pourtant, il existe bel et bien de la discrimination au sein des communautés francophones : « Nous avons nous-mêmes de la difficulté à accepter les accents », soutient Bergeron. Achab évoque que dans une situation bilingue comme au Canada, ce refus d’intégration peut mener à l’utilisation de l’anglais et peut « se traduire dans l’affaiblissement [du français] ».

Le sociologue affirme que, « comme piste de solution, il faut sensibiliser les gens à prendre conscience que la glottophobie est une vraie problématique. Ensuite, il faut sensibiliser les gens à accepter la diversité du français et à ne pas pratiquer l’exclusion ». Bergeron estime que c’est ce qui nuit le plus au développement des communautés francophones.

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