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Illustration de deux personnes réfugiées venant d'Ukraine, qui s'enlacent sur fond du drapeau ukrainien en raison de l'invasion russe en ukraine
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Réfugié.e.s ukrainien.ne.s vs Migrant.e.s syrien.ne.s et afghan.e.s : une solidarité à géométrie variable

Camille Cottais
8 avril 2022

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Chronique rédigée par Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités

En Europe, mais aussi aux États-Unis et au Canada, la solidarité envers les réfugié.e.s ukrainien.ne.s a été unanime. Ces dernier.e.s ont été accueilli.e.s massivement par les pays de l’Union européenne (UE), qui se positionnaient pourtant beaucoup moins ouvertement à l’égard des réfugié.e.s syrien.ne.s ou afghan.e.s. Ce double standard s’est retrouvé ces dernières semaines dans l’opinion publique, le traitement médiatique tout comme dans les décisions politiques des pays européens.

L’invasion de l’Ukraine  par la Russie a été déclenchée le 24 février dernier. Depuis, plus de trois millions d’Ukrainien.e.s ont fui l’invasion russe. L’UE semble s’être unie pour les recevoir, des bénévoles les accueillent à la frontière polonaise ou roumaine, des habitant.e.s les logent bénévolement dans leurs maisons… Si une telle solidarité est bien sûr plus que salutaire, pourquoi cette mobilisation n’a-t-elle pas eu lieu lors d’autres afflux de migrant.e.s, notamment en provenance du Moyen-Orient ?

Le double discours médiatique et politique est visible dès le choix des mots : nous parlons de réfugié.e.s ukrainien.ne.s mais de migrant.e.s syrien.ne.s. La comparaison entre la Syrie et l’Ukraine est d’autant plus pertinente que le régime syrien de Bachar el-Assad est soutenu par Vladimir Poutine.

Deux poids, deux mesures

La grande empathie démontrée à l’égard de la population ukrainienne contraste avec les habituels comportements hostiles de l’UE envers les populations fuyant la guerre. « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde », entend-on souvent.

Quelques mois auparavant, en août 2021, Emmanuel Macron avait par exemple déclaré à Kaboul que l’Europe ne pouvait pas accueillir à elle seule tou.te.s les migrant.e.s et même qu’il fallait se protéger contre les « flux migratoires irréguliers ».

De la même façon, l’UE avait violemment militarisé ses frontières lors de l’arrivée en novembre dernier à ses frontières de réfugié.e.s kurdes envoyé.e.s par la Biélorussie. Ils.elles étaient pourtant moins de 10 000, contre plusieurs centaines de milliers actuellement. Pensons également à la Pologne qui érigeait il y a quelques mois des murs pour empêcher les migrant.e.s afghan.e.s et syrien.ne.s de passer, et qui accueille aujourd’hui les réfugié.e.s d’Ukraine les bras ouverts.

La commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, a annoncé début mars l’application d’une directive européenne accordant la protection temporaire à tou.te.s les réfugié.e.s ukrainien.ne.s. Celle-ci leur permettra de séjourner dans l’UE pendant au moins un an, d’y travailler et d’accéder aux aides sociales et médicales, au logement et à l’éducation. Puisque cette directive existe depuis 2001, il est légitime de se demander pourquoi elle n’a jamais été appliquée avant, notamment lors de l’arrivée massive des réfugié.e.s syrien.ne.s en 2015.

D’un seul coup, tout semble devenir possible pour les ukrainien.ne.s. En France, les transports de longue distance ont été déclarés gratuits pour les ukrainien.ne.s et des places de logement ont été miraculeusement trouvées. Pourquoi ces mesures ne sont pas prises pour les demandeur.se.s d’asile et les migrant.e.s afghan.e.s, syrien.ne.s, érythréen.ne.s, yéménites, irakien.ne.s ou palestinien.ne.s ? Faut-il être blanc pour mériter un accueil digne ?

Similairement, pourquoi saluons-nous le courage des Ukrainien.ne.s se battant contre l’envahisseur russe, mais pas des Palestinien.ne.s qui résistent contre l’occupation israélienne ?

Une couverture médiatique raciste, eurocentrique et orientaliste

« Ce n’est pas l’Irak ou l’Afghanistan. C’est une ville relativement civilisée, relativement européenne, où on ne se serait pas attendu à ça », affirme sur CBS News le correspondant Charlie D’Agata. « On ne ne parle pas là de Syrien.ne.s, on parle d’Européen.ne.s, qui partent dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures, et qui essaient juste de sauver leur vie », commente encore le journaliste français Philippe Corbé sur BFMTV.

Ces exemples de couverture médiatique raciste soulignent le rôle des médias occidentaux dans la normalisation des guerres dans certaines régions du monde : les réfugié.e.s du Moyen-Orient sont déshumanisé.e.s, ce ne sont plus que des chiffres, des statistiques sans importance. À l’inverse, l’Ukraine ne « mériterait » pas cela, car il s’agit d’un pays européen, dit « civilisé », car la population ukrainienne est blanche et chrétienne, et non musulmane.

Cette idée selon laquelle il serait étonnant qu’il y ait une guerre en Europe, par comparaison avec un Moyen-Orient habitué à celles-ci, est questionnable. D’abord, parce que jusqu’à la fin de la Guerre froide, l’Europe a constamment été une zone de guerres. Même après la fin de celle-ci, des guerres ont eu lieu sur le sol européen, comme au Kosovo, au Haut-Karabagh, en Tchétchénie ou en Macédoine. On peut y ajouter le génocide des musulman.e.s bosniaques de 1992 à 1995, sans parler de la violence permanente aux frontières européennes.

Parler d’un Occident « civilisé », pacifique et respectueux des droits humains, c’est également oublier l’histoire même de l’Occident, marquée par l’impérialisme, la mise en esclavage, la colonisation et les génocides des populations autochtones. Les guerres sont aujourd’hui considérées comme lointaines, comme quelque chose qui ne se produit que dans les pays du Sud global, niant leur lien avec les interventions passées de l’Europe.

« Des gens comme nous »

Ce discours raciste décomplexé de certains médias occidentaux entretient l’idée selon laquelle il y aurait des bons et des mauvais migrant.e.s, les bons migrant.e.s étant blanc.he.s, chrétien.ne.s, fuyant la guerre et rentrant chez eux une fois celle-ci terminée. Nous sommes en plein dans l’orientalisme d’Edward Said : les migrant.e.s en provenance de Syrie ou d’Afghanistan sont construit.e.s comme différent.e.s de nous, comme moins « civilisé.e.s ».

La déclaration du premier ministre bulgare s’inscrit parfaitement dans cette construction orientaliste de l’Autre. En février dernier, il affirmait : « Ce ne sont pas les réfugié.e.s auxquel.le.s nous sommes habitué.e.s. Ces gens sont des Européen.ne.s. Ils.elles sont intelligent.e.s, ils.elles sont éduqué.e.s. »

Cette différence de traitement médiatique et politique vient en partie de la proximité géographique et soi-disant culturelle entre l’Ukraine et les pays de l’UE, mais surtout et avant tout du racisme et de l’islamophobie. Les discours anti-immigration et les fantasmes autour d’un grand remplacement ont conduit à concevoir les ressortissant.e.s musulman.e.s comme une menace, mettant en cause une civilisation occidentale imaginaire.

La couleur de peau et la religion des ressortissant.e.s semblent donc déterminer s’il s’agit d’un.e réfugié.e « civilisé » méritant le droit de vivre, ou d’un.e migrant.e dont on ne peut pas accueillir la misère. Cela montre, encore une fois, que la suprématie blanche est toujours ancrée dans notre culture mondiale, une vie humaine semblant toujours valoir davantage si elle est blanche.

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