Crédit visuel : Jürgen Hoth — Photographe
Article rédigé par Emmanuelle Gauvreau — Cheffe du pupitre Arts et Culture
Il existerait des liens entre la socialisation des genres et leur aisance avec l’expression publique. En partenariat avec le Centre de ressources Julien-Couture, le programme Elles Speak, offert sur deux ateliers ayant eu lieu les 22 et 27 mars derniers, ont donné l’occasion à des étudiantes bilingues de briser les barrières du ridicule pour se permettre de pratiquer l’art de la prise de parole.
Amévi Valérie Tete, formatrice de prise de parole venue de Sciences Po (Paris) et actuellement en échange à l’Université d’Ottawa (U d’O), a organisé le programme Elles Speak. Cette dernière explique que c’est dans le cadre d’un cours de mouvements sociaux avec Nadia Abu-Zahra qu’elle a été invitée à organiser une initiative se voulant au service de la communauté étudiante.
Origines des ateliers
En 2019, Tete a remporté le concours de plaidoirie des lycéens pour sa prise de parole sur les enfants togolais subissant des accusations de sorcellerie. Depuis, elle enchaîne plaidoiries, implications sociales et enseignement de cet art qui fait peur à plus d’un et, peut-être surtout, à plus d’une, selon elle.
C’est pourquoi elle mentionne s’être projetée dans la création d’une formation touchant son champ d’expertise principal, et qui s’ancre dans le Mois de la francophonie et de l’Histoire des femmes. Elle a souhaité « créer un espace d’intégration entre des personnes qui n’avaient pas forcément le même niveau en anglais et en français », d’où sa nature bilingue, énonce-t-elle.
Mis à part les deux ateliers, les participantes devront présenter un discours dans le cadre d’un concours affilié ayant comme thématique leur relation à la francophonie, précise Tete. La gagnante sera, ajoute-t-elle, annoncée à la fin avril.
Pourquoi pour les femmes exclusivement ?
« Il y avait cet enjeu pour moi de cibler les inégalités qu’il y a en matière de prise de parole entre les hommes et les femmes », constate Tete. Cette dernière fait référence à une étude française pour rebondir sur son impression que, dans la socialisation des jeunes femmes, « leurs voix ont moins d’importance, leur parole et leur capacité d’argumenter aussi est moins valorisée », et ce, dès l’enfance.
Tete est d’avis que, dans une société où le langage est déterminant, il est essentiel, tant professionnellement qu’académiquement, de rendre accessible des formations qui centrent les femmes. Le type de travail que cela implique a un lien avec la confiance de manière générale, mais aussi sur les aspects techniques, tel que de descendre leurs voix ou de faire un travail pour qu’elles portent plus, explique-t-elle.
Blanche Daban, participante d’Elles Speak qui est présentement en deuxième année au doctorat à l’U d’O, remarque que s’adresser à une foule lui est très intimidant. De manière générale, « les femmes prennent moins la parole en public que les hommes », affirme-t-elle. Elle est d’avis que : « La prise de parole est une forme de pouvoir et d’influence importante dans la société ; c’est pourquoi la prise de parole des femmes est essentielle et l’existence d’ateliers comme Elles Speak est si importante. »
Sooshila Ramsamy, aussi participante au programme, a une expérience similaire, mais avance que son programme en communication à l’U d’O ne lui offre pas beaucoup d’occasions de pratiquer l’art de la plaidoirie. Cette dernière explique avoir justement « retardé [son] école de droit pour acquérir des connaissances », notamment dans la parole publique.
Ramsamy est d’avis que les hommes ont longtemps eu une place très importante et imposante en ce qu’il s’agit de la parole publique, mais remarque qu’aujourd’hui, « il y a plusieurs femmes qui se battent pour que ça change, pour qu’elles s’imposent autant que les hommes ».
Transcender ses insécurités
Daban exprime ressentir beaucoup d’anxiété quand vient le temps de parler devant plusieurs personnes : « Je me suis inscrite à Elles Speak pour apprendre à mieux maîtriser mes émotions et être plus pertinente à l’oral. » Tete a tenté, dans son approche, de « créer un espace sécurisant », tout en encourageant les participantes à sortir de leurs zones de confort. Elle rappelle toutefois qu’il s’agit d’« une démarche de prise de conscience intrinsèquement personnelle et intime ».
« De manière générale, s’exercer au sein d’un groupe où je me suis sentie à l’aise et pas jugée m’a aidée à prendre confiance en moi et en mes capacités à parler à l’oral », exprime Daban en réponse à son premier atelier. Ramsamy, elle, remarque avoir vécu sa première expérience d’une façon hors norme. « On prend la peau de quelqu’un d’autre, on prend le masque de quelqu’un d’autre, quelqu’un qui a confiance, tout en se dévoilant soi-même ! », continue-t-elle.
Tete remarque que son arrivée au Canada lui a fait réaliser l’enjeu de légitimité par rapport à la langue en contexte bilingue, où la question d’insécurité linguistique peut interférer. Celle-ci soutient que : « Dans cet espace, il est intéressant de mettre tout le monde sur un pied d’égalité. »
Elle rappelle que l’éloquence a un lien avec la langue parlée, mais que ce n’est pas ce qui est le plus important. « C’est plus une question de posture et le rapport du regard que tu as sur [t]oi-même. L’apparence dans le discours, la posture, c’est 60 % d’un discours ! », souligne-t-elle.
Daban « encourage toutes les femmes qui, comme [elle], stressent énormément dès qu’elles doivent parler en public à participer à ce type d’atelier ». Cette dernière croit qu’il peut servir à toutes personnes doctorantes comme elle-même. Tete espère, de son côté, que les participantes repartiront avec des outils qui leur serviront sur le long terme, et qu’elles se rendent compte que de prendre parole publiquement ne vient pas avec « mort d’homme ».
Le 15 mai prochain, un évènement aux thématiques similaires aura lieu. Quatre panélistes prendront la parole lors de la table ronde « Femmes et francophones dans l’environnement scientifique », pour discuter de leurs expériences et défis en tant que femmes francophones dans le domaine des sciences.