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L’éducation à la sexualité et au genre, entre questionnements et débats

Nisrine Nail
15 octobre 2023

Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah – Directrice Artistique

Article rédigé par Nisrine Nail, Cheffe du pupitre Actualités

En cette semaine de la fierté à l’Université d’Ottawa (l’U d’O), La Rotonde fait un retour sur les manifestations et contre-manifestations du 20 septembre, qui avaient pris une ampleur nationale. Durant cette même période certaines politiques publiques au sujet de l’éducation à la sexualité et au genre étaient remises en question ou défendues. Une semaine plus tôt, l’U d’O avait annoncé la dissimulation des cours d’études de genre. Ces deux incidents introduisent quelques questions sur l’avenir de l’éducation à la sexualité et au genre au Canada.

Division familière et cible floue

Valérie Lapointe est chercheuse postdoctorale en études politiques à l’Université d’Édimbourg et spécialiste en politique canadienne et les enjeux LGBTQ+. Elle informe que les enjeux liés à la communauté 2ELGBTQI+ ont toujours été « polarisants » au Canada. Les politiques publiques débattues actuellement au sein de quelques provinces, notamment sur l’identité de genre, ne sont donc pas étonnantes.

Kofi Arhin, étudiant au doctorat en sciences politiques à l’U d’O, remarque aussi que les manifestations s’adressaient plutôt au gouvernement fédéral qu’aux gouvernements provinciaux. « L’éducation relève du domaine provincial. Cela peut s’expliquer par un manque de connaissances en politique canadienne », établit Arhin. Sur ce point, Lapointe poursuit qu’il existe peut-être « un désir de nationaliser ce débat, c’est-à-dire de s’assurer que ce débat traverse l’ensemble des provinces ».

La chercheuse fait part de sa surprise quant à l’incohérence des gouvernements lorsqu’il est question de l’intérêt des enfants et de celui des parents. « Les gouvernements se sont positionnés dans les dernières années pour dire que c’est l’intérêt de l’enfant qui doit primer lorsqu’on réforme des lois. Pourtant, on dit maintenant vouloir protéger le droit des parents », indique Lapointe.

Écoles, les droits et le politique

Tasha-Ann Ausman, professeure à la Faculté d’éducation, enseignante et experte en pédagogies queer et en études de curriculum, est d’avis que la sphère politique emploie l’unité familiale afin d’obtenir des votes. « Les valeurs dites familiales sont utilisées pour réprouver l’éducation à la sexualité et au genre », soutient la professeure.

Arhin partage aussi l’opinion que les droits des parents n’ont rien à voir avec cette affaire. Même s’il est possible d’offrir l’option de retirer un.e élève des cours sur la sexualité et le genre, l’étudiant en sciences politiques trouve que ce serait « dommage » de les séparer de leurs camarades de classe. « Si nous commençons à retirer les élèves de ces cours, quels autres cours seront à option ou même supprimés ? », demande-t-il.

Ausman affirme que le système éducatif a toujours mis les droits des enfants avant ceux de leurs parents. « Nous voulons que les étudiant.e.s réussissent, nous ne devrions pas ériger des barrières qui affectent leurs études », souligne l’experte. Elle commente que certains parents souhaitent que leurs enfants ne soient pas éduqués sur les organes reproductifs. La professeure questionne donc la possibilité de retrait des cours, surtout que « le genre et la sexualité sont des sujets que l’on retrouve dans de nombreuses matières, ce n’est pas une classe à part entière ».

Arhin soupçonne que les parents qui s’opposent à l’éducation à la sexualité et au genre sont mal informé.e.s sur les curriculums des écoles. « Je pense qu’ils.elles croient à tort que cette éducation influencera les enfants à être gai ou trans, mais c’est faux. Le but est de normaliser et de prêcher l’acceptation », partage l’étudiant. Il ajoute que les parents ont le droit de savoir ce qu’il se passe dans les classes, alors il faut aborder leurs préoccupations.

Selon lui, les ministères d’éducation devraient tenir des forums afin de répondre aux questionnements des parents. « Ce dialogue pourrait traiter des incompréhensions autour de l’éducation à la sexualité et au genre », suggère Arhin. Ce dernier concède que la loi C-18 pourrait partiellement expliquer le manque d’information des parents sur les politiques publiques en jeu.

Dissimuler, et après ?

À la suite des attaques à l’Université de Waterloo, l’U d’O a décidé de masquer les informations des cours d’études féministes et de genre pour des raisons de sécurité. « L’Université de Waterloo démontre qu’il y a des gens qui sont prêts à passer à l’acte, alors l’U d’O doit prendre ces menaces au sérieux », souligne Lapointe.

« Je suis entrée au poste de directrice de l’Institut le 1er juillet 2023, alors deux jours après les attaques à Waterloo. Depuis, je travaille très fort pour assurer la sécurité de notre personnel, notre corps professoral et nos étudiant.e.s », insiste Phyllis Rippey, directrice de l’Institut d’études féministes et de genre à l’U d’O et sociologue. La directrice dénonce le manque d’actions de la part de l’U d’O lorsque ces attaques ont eu lieu. « Nous avions des préoccupations durant l’été en matière de sécurité sur notre campus, comme des attaques verbales et des bureaux pénétrés par effraction, mais aucune déclaration de soutien n’a été publiée, c’est frustrant », déplore Rippey.

Ausman précise que l’administration de l’U d’O est dans une position « délicate ». « Plus on divulgue des informations, plus on les met à la disposition d’un public plus large, qui comporte des personnes susceptibles de vouloir nuire au système », nuance la professeure. Arhin reconnaît que l’Université devrait être plus « transparente » à cet égard et informer la communauté universitaire des raisons derrière cette précaution. « On ne peut pas prendre cette décision et ne pas la commenter », juge l’étudiant.

Quelques autres universités ont pris des mesures semblables à l’U d’O, notamment l’Université Western, l’Université York, l’Université de Toronto et l’Université de Guelph. Il restera à voir quels seront les effets de ces précautions.

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