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Sexualité et intimité, comment en parler dans un cadre religieux ?

Nisrine Nail
16 avril 2024

Crédit visuel : Dawson Couture — Co-rédacteur en chef

Article rédigé par Nisrine Nail – Cheffe du pupitre Actualités

Être affilié.e à une religion est plus ou moins commun au Canada : près de deux tiers des Canadien.ne.s le sont et la moitié d’entre eux.elles affirment que leurs croyances prennent une place importante dans leur vie. Cette importance s’atténue de manière générationnelle. Un des facteurs principaux : l’inconfort à aborder certaines thématiques tel que la sexualité. 

Péché, embarras et silence

Pamela Dickey Young, professeure émérite de religion dans l’Amérique du Nord contemporain à l’Université Queen’s, explique que les religions sont souvent conçues comme étant des autorités morales de leurs adeptes, y compris leur vie sexuelle. « Les opinions des religions sur l’intimité découlent de leurs notions de ce qui est moral, y compris les rôles [de genre] ainsi que les activités sexuelles appropriées », insiste-t-elle. 

Sara, diplômée de l’Université d’Ottawa (U d’O) en science politique, artiste et enseignante de yoga, est musulmane chiite. Elle soutient que les attentes envers les femmes sont différentes de celles des hommes : « J’ai deux frères qui peuvent avoir des relations amoureuses alors que ce n’est pas le cas pour moi. » 

Sara fait savoir qu’elle est queer, ce qu’elle ne peut partager ouvertement « par soucis d’autoconservation et non par honte ». La diplômée de l’U d’O témoigne du fait que sa situation n’est pas facile, car l’Islam qualifie toute orientation sexuelle non hétéronormative comme étant « haram » [illicite]. Ce mot a énormément de poids chez les musulman.e.s, détaille Sara.

Young développe que les groupes religieux ont souvent une vision restrictive des rôles et des comportements sexuels. « Si une collectivité s’attend à ce que ses membres adhèrent strictement à ses normes [hétéronormatives], cela peut s’avérer problématique pour ceux qui n’y correspondent pas », signale la professeure de religion.

Arthur, étudiant en sixième année en science politique et Juris Doctor (J.D.) à l’U d’O, est juif et chrétien. « Né d’une mère juive, baptisé comme chrétien orthodoxe, mon beau-père est protestant et j’ai étudié dans une école catholique », énumère-t-il. Avec cette diversité de perspectives religieuses, l’étudiant analyse leurs approches distinctes envers les sujets touchant la sexualité. « La Torah condamne ça [être gai], mais dans l’imaginaire collectif juif, on est une famille et une nation. Même si certains comportements sont condamnés, ce n’est pas un jugement similaire aux autres religions monothéistes », observe-t-il. 

L’enseignante de yoga déplore le manque de discussion au sein de sa communauté religieuse. « On ne peut pas parler de masturbation, de plaisir, de virginité, de sexe, d’orientation sexuelle. C’est un cauchemar pour la plupart des croyant.e.s de parler de ces choses, surtout quand ça concerne les femmes », expose-t-elle. Sara estime que ses conversations n’ont pas lieu, car les femmes sont sexualisées instinctivement. 

Développer sa propre relation avec la religion

« Étant gai, oui, tu veux avoir cette foi et cette relation avec Dieu. Tu ne veux pas aller à une congrégation où tout le monde est athée. Tu veux avoir une certaine respectabilité traditionnelle de la religion et cet équilibre est difficile à trouver », admet Arthur. Pour lui, croire en Dieu est une relation personnelle. Il indique qu’il va à l’église et à la synagogue, car « Dieu est partout ». L’étudiant en science politique et J.D. estime que plusieurs personnes seraient déconcertées par ce mode de vie. Il réfute cette réaction soulignant que ce ne sont que des « boîtes » qui lui ont été assignées. 

L’artiste réitère qu’elle croit aussi en Dieu et qu’elle accepte d’être musulmane, tout en pratiquant la religion à sa façon. Elle confie avoir été confuse pendant longtemps jusqu’à ce qu’elle réalise que personne ne peut lui dicter comment vivre. « Déconstruire la honte, c’est un long processus. Ces dernières années, je me suis libérée », poursuit la diplômée. 

« Les tabous religieux sur la sexualité vont souvent de pair avec un désir de contrôle social », concède la professeure émérite de religion. Young partage que, d’après ses recherches, les jeunes adultes religieux.se.s repensent leur approche à leur vie sexuelle en parlant souvent de valeurs positives comme l’amour et l’attention plutôt que des normes de leur affiliation religieuse.

Fracasser ce qui est infrangible

Sara proteste que les discours alarmistes au sein des religions ne font que nourrir des doutes : « On entend toujours “Ne fais pas ci ou ne dit pas ça, tu seras puni”, sans plus d’explication. » Elle suggère d’explorer au-delà des livres religieux quand il est question de sexualité. À son avis, il faut s’éduquer pour mettre fin à divers problèmes tels que la haine à l’égard des personnes 2SLGBTQIA+ et la violence sexuelle.

La professeure émérite suggère que toute personne peut ouvrir un dialogue au sein de leur communauté en parlant de ses expériences. « Parfois, le simple fait de verbaliser son vécu permet de trouver d’autres personnes qui partagent les mêmes pensées », rapporte Young.

Arthur rappelle qu’il est essentiel de ne pas se soustraire à des identités. « Une personne, c’est un monde en soi. […] Se restreindre dans cette vie qui est tellement courte, ça ne vaut vraiment pas la peine », soupire-t-il. 

L’U d’O offre maintes ressources en ce qui concerne la santé sexuelle et la santé spirituelle à l’aide de services d’aumônerie interconfessionnelle.

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