Réorientation du regard : la conversion religieuse estudiantine
Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah — Directrice artistique
Article rédigé par Jessica Malutama — Journaliste
Le phénomène social de la conversion religieuse renvoie parfois à un imaginaire porteur de connotations négatives. Pourtant, le versant de la conversion comme cheminement personnel d’un individu pendant les études postsecondaires, demeure occulté. Comment le désir de conversion naît-il chez un.e étudiant.e et que vient-il combler pendant cette période de sa vie ?
Selon Barbara Helms, psychothérapeute de formation et aumônière bénévole de foi musulmane aux Services d’aumônerie interconfessionnelle de l’Université d’Ottawa (l’U d’O), il est important d’appréhender le concept en procédant par des études de cas. Elle juge qu’il faut comprendre les motivations personnelles, le contexte et les aboutissants liés au processus de conversion pour être à même de s’en faire une image nuancée. « Est-ce que cela a favorisé la croissance de l’individu ou est-ce que cette décision l’a isolée de sa famille, de sa culture d’origine et l’a rendue plus vulnérable ? », demande-t-elle.
La démarche réflexive d’un esprit curieux
Robert Pinkston, aumônier de foi protestante à l’aumônerie de l’U d’O avance que les étudiant.e.s qui viennent le voir et qui choisissent d’embrasser une nouvelle foi, s’engagent, avant tout, dans un processus de découverte, là où la réflexion précède l’acte de se convertir. Il rappelle que les aumônier.ère.s ont pour mandat d’épauler les étudiant.e.s dans leurs réflexions. « On n’est pas là pour les endoctriner, mais pour créer un climat d’accompagnement et d’écoute afin de favoriser leur bien-être spirituel », laisse-t-il entendre.
L’aumônier informe qu’il est approché par des étudiant.e.s croyant.e.s et athé.e.s, avec un arrière-plan religieux ou non, qui examinent des questions d’ordre spirituel. Dans ce processus réflexif qui part de l’individu, il remarque que certain.e.s passent d’un état d’indifférence à un état de curiosité, et que d’autres choisissent de devenir chrétien.ne.s en cours de processus.
Justin (nom fictif), étudiant en linguistique converti au judaïsme, qui a désiré conserver son anonymat, souligne que le passage de la curiosité à la croyance a été « graduel et subtil » chez lui. Ce dernier révèle que ce n’est « qu’un an après le début de son apprentissage personnel incluant, entre autres, des lectures sur le judaïsme et des discussions avec une rabbine, qu’il a constaté ce qu’il recherchait ». « Le lien que j’ai ressenti avec Dieu, pour la première fois de ma vie, m’a semblé réel et il m’appartenait. C’est ce qui a, en partie, guidé mon choix », suggère-t-il.
L’université : lieu propice au façonnement de soi
Justin partage qu’en arrivant à l’U d’O, il ne s’identifiait plus à une foi particulière : « Ma relation à Dieu a d’abord été encouragée par mes parents. Je connaissais l’histoire de Dieu plutôt que de le connaître réellement. »
L’étudiant énonce qu’il n’avait initialement pas l’intention de se convertir au judaïsme. « À l’époque, j’étais étudiant en études religieuses à l’U d’O et mon intérêt pour le judaïsme était purement académique », ajoute-t-il.
De son côté, Helms croit que l’université offre un contexte précis où les étudiant.e.s sont appelé.e.s à se découvrir. « Je pense qu’ils.elles explorent leur identité, y compris leur identité religieuse », soutient-elle. Chrétienne convertie à l’Islam, elle s’appuie sur sa propre expérience universitaire pour dégager les facteurs contributifs à une conversion religieuse chez un.e étudiant.e.
Selon elle, le fait d’acquérir une indépendance nouvelle et d’être exposé.e à de nouveaux schèmes conceptuels, ainsi qu’à une population étudiante diversifiée, sont tous des éléments qui favorisent une remise en question « des normes dominantes de leur milieu religieux et culturel » dans le milieu universitaire. « Pour moi, le travail de base de questionnement et d’exploration implicite à la conversion a débuté pendant mes études de premier cycle », exprime Helms.
Selon Pinkston, à la base, l’être humain cherche trois choses, soit « l’amour, une raison d’être et un sens à sa vie ». Il constate que l’université peut être un moment de trouble émotionnel stressant pour certain.e.s étudiant.e.s. Il estime que la croyance religieuse peut se présenter en réponse à des besoins fondamentaux humains, tel que celui d’intégrer une communauté.
La conversion, un continuum ?
Justin soutient que sa conversion signe « une expérience continue », là où le raffermissement de son lien à Dieu s’insère dans un processus. Il admet cependant qu’en devenant juif, il a accepté de nouvelles responsabilités envers Dieu, les autres Juif.ve.s et toute forme de vie sur Terre.
Le judaïsme, souligne-t-il, est une orthopraxie « obsédée par la sanctification du temps ». Le fait de se convertir lui a ainsi apporté une nouvelle conscience du temps. « Le samedi (le shabbat) est devenu une force intouchable de repos et d’introspection essentielle à mes études et à ma vie en général », mentionne-t-il.
Bien que le processus de conversion n’a pas été sans embûches pour lui, l’étudiant affirme qu’il est aujourd’hui « fier d’être Juif ». Il se réjouit d’avoir trouvé une communauté dans sa synagogue, d’avoir appris l’hébreu et d’être continuellement « stimulé intellectuellement par le savoir juif ». La pratique d’une nouvelle foi religieuse pendant les études pourrait donc, chez certain.e.s, se présenter comme une ouverture ontologique ou un autre lieu à partir duquel l’individu peut se considérer, se situer et se façonner autrement.