Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah — Directrice Artistique
Chronique rédigée par Emmanuelle Gauvreau — Cheffe du pupitre Arts et culture
Alors que je faisais des recherches pour une entrevue avec le photographe Wynne Neilly, je me suis rendu compte que chacun des articles à son propos faisait mention de son identité trans et de la violence qui y était associé. Pendant notre entretien, il s’est ouvert à moi sur le piège de représentation dans lequel il est tombé. Il n’est pas le premier à critiquer les attentes quant à la place de l’identité politique dans la culture…
« Ça a pris beaucoup de temps avant qu’on me respecte en tant que bon photographe et de se dissocié de l’étiquette “photographe trans qui prend des photos de personnes trans”. J’essaye de me faire respecter en tant qu’artiste à part entière. » Tels sont les mots de Wynne Neilly pour décrire son malaise.
Je le remarque de plus en plus. Cette discussion obsède plus d’un.e autour de moi. Parfois, c’est l’inquiétude de ne pas être suffisamment « marginalisé.e » pour avoir accès à certains débouchés, puis la crainte d’être « black-listé » en s’exprimant sur le sujet. Ou alors l’expression d’un sentiment de vigilance, d’avoir peur d’être recruté pour remplir un quota. Ou encore, ces tentatives d’inclusivité qui s’avèrent plus maladroites qu’autre chose. Somme toute, le sentiment d’absurdité dans les efforts d’inclure des personnes que l’on a si longtemps marginalisées dans nos cadres culturels fondamentalement européens et aux racines discriminatoires persiste.
Garder l’anonymat de ces expériences est un choix conscient. Un réel risque orbite autour de la décision d’aborder cette question, d’autant plus qu’elle est perçue de manière si intersectionnelle, qu’il devient parfois difficile de se positionner sur sa propre expérience, même si on en fait partie.
Partie de quoi, me demandez-vous ? De la diversité, de groupes « marginaux », de groupes minoritaires, de personnes plus à risque de rencontrer des barrières dans leur carrière artistique, de personnes devant passer un peu plus de temps devant une demande de subvention afin de remplir la section d’auto-identification…
Le désir de bâtir ce réflexe d’identifier les hiérarchies de pouvoir se ressent dans le milieu culturel de la région. La communauté artistique semble de plus en plus vouloir s’ouvrir à la question de diversité, et reconnaît que les personnes issues de communautés marginalisées sont plus à risque de subir des formes d’oppressions.
Là où ça se corse, c’est que certaines personnes peuvent cacher qu’elles font partie de la diversité, alors que d’autres non. Plus encore ; certaines personnes veulent crier haut et fort ces parties de leur identité, d’autres non. Et plus, plus, encore, certaines personnes veulent parler de ces parties de leur identité dans le cadre de leur travail artistique, d’autres non.
Pourtant, ceux.celles qui déclarent haut et fort leur appartenance à un groupe issu de la diversité, voire qui en font un mandat de dénonciation dans leur démarche artistique, sembleraient être plus représenté.e.s ces jours-ci. Cela est même indiqué dans plus d’un appel aux candidatures dans le milieu culturel récemment.
Loin de moi l’idée de critiquer ces artistes aux démarches émancipatrices, ni même de dévaloriser la hausse d’œuvres autofictionnelles revendicatrices. Il est vrai qu’historiquement, les hommes blancs hétérosexuels sont ceux qui ont eu le plus de liberté d’explorer leur identité sur la place publique, notamment par leur expression artistique. Cette tentative de réappropriation de soi par ceux.celles si longtemps condamnés aux archétypes et aux préjugés me semble comme une approche évidente, sinon pas nécessaire.
Il est toutefois aussi nécessaire, en tant qu’artiste, de ne pas être condamné à un carcan. Encore moins quand il s’agit d’un carcan condamné à la souffrance. Il est important de ne pas être dépendant d’un quota politique qui répond à une exigence d’intérêt public. Il ne devrait jamais y avoir une obligation d’éduquer les autres. L’acte artistique n’a pas un devoir identitaire dépendant du politique.
Créer devrait être un lieu où il y a une liberté complète d’explorer une séquence de soi, ou du monde, de permettre la transition et la construction identitaire. Personne ne devrait être emboîté dans une partie de sa propre identité.
Cette chronique est peut-être surtout un rappel pour chacun.e et pour tou.te.s, moi incluse, qu’il n’y a pas de devoir de représentation, de positionnement, de remise en question, de s’acharner sur sa souffrance pour convaincre une plus grande majorité de la légitimité de son identité. Il n’y a pas même d’obligation à un rapport à l’identité fini et poli.
Pour reprendre les mots de Wynne : « Je crois que la société devrait aller au-delà de cela. »