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Éditorial

Repenser notre francophonie hors des sentiers battus

Rédaction
18 mars 2024

Crédit visuel : Marina Touré — Co-rédactrice en cheffe

Éditorial rédigé par le comité éditorial de La Rotonde

À La Rotonde, cela fait plus de 91 ans que nous couvrons et défendons la francophonie et les intérêts des francophones dans la région. Nous traitons donc de la francophonie sous toutes ses formes. Ainsi, bien que la francophonie et le français fasse souvent l’objet de débats politiques et de luttes identitaires dans nos éditions, il est finalement temps d’adopter une approche plus nuancée. Plutôt que de perpétuer des divisions, en ce Mois de la francophonie, nous devons explorer la solidarité et l’entraide entre nos communautés linguistiques.

Aborder la cohabitation et l’harmonie avec les personnes anglophones est complexe lorsque l’on se situe dans le contexte historique au Canada. La francophonie et le français sont souvent utilisés comme des outils politiques et il est encore difficile de se défaire de cette vision quand on discute du sujet. En tant que francophones, nous nous sentons parfois menacé.e.s par des gouvernements qui ne nous reconnaissent pas. Nous pourrions dévouer tout un éditorial à discuter des défis que les francophones rencontrent encore à toutes les échelles dans le pays.

En revanche, plutôt que de promouvoir une réalité où tout le monde ne parlerait que le français, ce qui est assez improbable et même indésirable, nous pensons qu’il faudrait plutôt analyser les relations qui nous lient entre francophones, mais aussi nos rapports avec les personnes anglophones.

Se pencher sur nous-mêmes

Le français n’est pas seulement une langue, c’est un vecteur historique, culturel, populaire et aussi social. Cette langue, pourtant, comme c’est le cas pour beaucoup d’entre nous, n’est souvent qu’une partie parmi tant d’autres de notre identité. Le contexte minoritaire est souvent un catalyseur qui va porter notre rapport à la langue vers d’autres combats et réalités.

Nous ne pouvons tout de même pas nier que nos relations à la langue sont toutes différentes les unes avec les autres. Construire une francophonie à l’image de cette diversité est donc essentiel pour pouvoir retenir cet amour de la langue, mais aussi pour pouvoir la transmettre aux autres. Nous faisons face aussi à un système qui a tendance à donner la priorité à des structures plus restrictives du français dans le but de le pérenniser. Nous sommes d’avis au journal que restreindre une langue, et encore plus, de l’encadrer à l’oral, contribue à la mettre en danger ; les locuteur.rice.s peuvent aisément se sentir exclu.e.s et ne plus vouloir la parler.

Établir une francophonie qui permet la prospérité pour tous.tes les francophones passe donc par la mise en place d’une solidarité accrue entre nous. Par exemple, le simple fait de continuer à parler français, surtout lorsqu’on se trouve dans un espace où cela ne se fait pas ou très peu. Notre solidarité provient aussi de notre capacité à construire des espaces qui représentent la diversité du monde francophone. Avoir des discussions sur la langue avec notre entourage peut être allié avec des actions fortes, telles que de manifester dans les rues pour nous défendre face aux injustices, comme ce que l’on a pu voir lors du jeudi noir en Ontario en 2018.

Repenser une relation complexe

On peut être tenté.e.s de réduire notre relation avec les anglophones à une confrontation née d’un sentiment de toujours devoir « forcer » chez eux.elles un intérêt pour nos combats. C’est aussi ce que nos politicien.ne.s anglophones veulent nous amener à penser, surtout lorsque l’on observe les coupes provinciales aux services, et notamment à l’éducation, en français. Plusieurs membres de notre équipe sont d’ailleurs souvent marqué.e.s par ce désintérêt de certain.e.s anglophones qui, bien qu’ils.elles aient vécu toute leur vie à Ottawa, ne parlent que très peu ou pas de français.

Certain.e.s d’entre eux.elles peuvent aussi avoir l’impression que nos combats en tant que francophones n’ont pour objectif que la garantie que l’on puisse parler notre langue. Ce sont pourtant des combats pour améliorer les services de santé, l’éducation, et d’autres domaines qui nous servent à tous.tes, peu importe notre langue. On ne peut pas non plus nier que plusieurs de nos réussites contre les actions des gouvernements conservateurs sont aussi le fruit de l’appui d’autres personnes, y compris les anglophones. Somme toute, cela démontre qu’il est entièrement possible de se comprendre et de vivre ensemble. Mais comment peut-on transformer cette cohabitation en une floraison de la francophonie ?

Nous sommes conscient.e.s que d’enfermer les personnes anglophones dans une perspective unique serait de leur faire ce que l’on nous a souvent fait. Leur désintérêt dans certains cas pour nos combats et notre langue sont le résultat d’un environnement social et éducatif linguistiquement et culturellement hégémonique. S’inscrire dans cette relation avec les anglophones, c’est donc reconnaître les faiblesses du système dans leur apprentissage de la curiosité linguistique, mais aussi d’une partie de leur histoire.

Vivre notre francophonie dans un contexte plurilingue

Ce positionnement nous met sur le chemin d’une francophonie qui représente notre réalité. Les langues sont des richesses, et il faut se souvenir de cela quand on pense à mettre en place un environnement qui permet leur éclosion. Il faut donc se tourner vers les véritables responsables de nos discriminations, soit les gouvernements, mais aussi nos institutions, comme l’Université d’Ottawa, qui se servent de la francophonie sans pour autant qu’elles construisent un véritable bilinguisme ou plurilinguisme.

Il faut faire un travail pour encourager la curiosité chez l’un.e et l’autre et créer des espaces qui permettent ces échanges. La présence de programmes comme ceux d’immersion en français sont un exemple que les francophiles existent et que les personnes anglophones sont aussi prêtes à parler français et à nous comprendre. On ne pourra donc pas entreprendre un renouveau de rapport sans passer par un travail d’humanisation des deux côtés.

Après tout, un grand nombre d’entre nous parlent anglais et cela est aussi une richesse en soi. Cela nous permet de revendiquer nos défis et les changements que nous voulons, tout en touchant un plus grand nombre de personnes. C’est cette richesse qui nous aidera à établir un environnement dans lequel nous pourrons vivre sans nous sentir menacé.e.s.

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