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Éditorial

Festival franco-ontarien : Nous ne séparerons pas l’art de l’artiste

26 septembre 2022

Crédit visuel : Archives

Éditorial rédigé par le comité de rédaction de La Rotonde

Après plusieurs éditions marquées par la pandémie – public limité, réglementations sanitaires, etc. – le Festival franco-ontarien (FFO) était de retour à la normale du 23 au 25 septembre derniers… ou presque. Ce qui aurait dû être une opportunité en or de célébrer la culture et la langue française s’est transformé en polémique divisant l’opinion publique.

La présence d’Éric Lapointe, musicien québécois, a en effet suscité beaucoup de controverse une fois sa participation au FFO confirmée. En plus d’avoir plaidé coupable à des accusations de voies de fait contre une femme plus tôt en octobre 2020, il a été choisi comme tête d’affiche pour le FFO de 2022. Un homme occupé, ce Lapointe !

Cette nouvelle stratégie de marketing de la part de l’organisateur du festival, Daniel Simoncic, a porté ses fruits. Quoi de mieux pour faire du bruit que d’inviter à son festival un headliner à la moralité douteuse ?

Ti-cuir sous le feu des critiques

En invitant Lapointe – ou Ti-cuir, pour les intimes – sur scène le 23 septembre dernier, l’organisateur du FFO semble s’être tiré une balle dans le pied. Plusieurs organismes culturels ont décidé de boycotter le festival ou de retirer leurs kiosks durant la soirée de la performance de l’artiste. C’est notamment le cas du Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel francophone d’Ottawa (CALACS) et du Conseil des écoles catholiques du Centre-Est. Les internautes franco-ontarien.ne.s ont aussi été nombreux à s’en prendre à Lapointe et au groupe organisateur du FFO sur les réseaux sociaux.

La présence du chanteur du succès N’importe quoi n’est pourtant pas regrettée par l’organisateur du festival. Simoncic a déclaré que si la programmation était à refaire, il ne changerait rien. D’après lui, le fait que Lapointe soit « le plus grand rocker de la francophonie canadienne » justifie sa présence au FFO. Adieu la moralité, bonjour le cash !

Simoncic s’est même rendu au point de demander au public de séparer l’art de l’artiste, soit d’ignorer les actions de Lapointe. Mais est-il vraiment possible de le faire, surtout dans le cadre d’un festival dit « familial », financé en grande partie par des fonds publics et des institutions scolaires ? La réponse est dans les nombres : Lapointe n’aurait rassemblé qu’une petite foule à son spectacle vendredi dernier. Malaise.

Soulignons aussi le fait que Lapointe soit québécois. Il est vrai que depuis ses débuts, le FFO invite des artistes de grande renommée, originaires de l’autre côté de la frontière provinciale, pour faire déplacer les foules et faire connaître des artistes franco-ontarien.ne.s moins célèbres. En soi, ce n’est pas si problématique que ça. Mais il n’aurait pas été si compliqué de trouver un.e artiste franco-ontarien.ne ou québécois.e avec des antécédents moins problématiques.

La présence de Lapointe au FFO a été reçue comme une grosse claque dans la face de l’Ontario français. Surtout pour les survivant.e.s de violence conjugale et/ou sexuelle. Notons que 12 heures avant l’arrivée de Lapointe sur scène, une manifestation contre la violence faite aux femmes avait lieu dans le centre-ville d’Ottawa… Ironique, non ?

Peu importe l’avis du public et des responsables du FFO, une chose est certaine. Décidément, la présence de Lapointe sur la scène du parc Major’s Hill a enlevé le spotlight non seulement aux autres artistes présent.e.s, mais aussi au but premier du festival : celui de célébrer la culture franco-ontarienne dans toute sa beauté. Il n’y a rien de moins beau qu’un organisme qui supporte des artistes comme Lapointe.

Plus qu’un festival

Le FFO est un événement majeur dans la vie de plusieurs Franco-Ontarien.ne.s. Après tout, il bat son plein depuis sa fondation en 1976. C’est un organisme vital au sein de la communauté, qui vise encore une fois à célébrer la langue parlée par les francophones et les francophiles. Mais une langue n’est jamais simplement qu’une langue : elle est accompagnée de valeurs, de symboles, de signes… Que deviennent ces aspects une fois forcés de confronter avec une controverse comme celle-ci ? Quel message les organisateur.ice.s du FFO voulaient-il.elle.s faire passer aux spectateur.ice.s en invitant une telle personnalité publique ? 

Cette année, il semble que la voix des Franco-Ontarien.ne.s ait été ignorée par le FFO. En plus d’avoir méprisé le travail des autres artistes, le FFO a rendu ses valeurs claires en fermant les yeux aux critiques et en répondant aux demandes de reprogrammation avec des arguments qui ne tiennent pas debout. Pour un événement qui se vante d’être « l’un des plus importants événements rassembleurs des forces vives de la francophonie ontarienne et canadienne », c’est largement décevant. Sommes-nous vraiment rendu.e.s au point où le festival ne se veut rassembleur que pour l’argent ?

Nous ne devrions pas avoir besoin de mettre de côté nos valeurs morales pour pouvoir célébrer notre langue. Dans un contexte où le français est en déclin dans la province, ce genre de polémique ne devrait pas être associée à notre culture. Celle-ci est déjà assez en danger sans être associée à des artistes comme Lapointe. Entre les coupures dans les services en français, la chute de locuteur.ice.s et l’inaction de nos gouvernements en ce qui a trait aux lois linguistiques, un scandale de même n’a simplement pas sa place.

Esprit militant encore vivant 

Nous pouvons toujours retenir un point positif de cette situation malheureuse : l’esprit rassembleur de la communauté franco-ontarienne est bel et bien encore vivant. Face à la présence menaçante de Lapointe au FFO, les francophones de la province se sont encore une fois manifesté.e.s pour se faire entendre et défendre un point moral commun. 

Depuis S.O.S Monfort, le jeudi noir et les nombreuses crises scolaires, l’essence de l’Ontario français se résume par son esprit revendicateur. Peu importe les résultats de cette controverse, celle-ci s’inscrit en plein dans le cœur de la communauté. Nous pouvons au moins être fier.e.s de cela.

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