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Arts et culture

Les enfants de troisième culture : Être de partout et de nulle part à la fois

Camille Cottais
29 avril 2022

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Article rédigé par Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités

Les enfants de troisième culture (ETC) ont grandi entre plusieurs pays et parmi un mélange de cultures. Cette expérience, de plus en plus courante, offre de grandes opportunités aux individus qui la vivent, mais vient aussi avec son lot de limitations et d’inconvénients.

Selon le blog de la communauté du baccalauréat international, les ETC sont des personnes ayant vécu et ayant été élevées dans un ou plusieurs pays différent(s) de celui dans lequel elles sont nées ou dont leur famille est originaire. Il s’agit souvent d’enfants de diplomates, de missionnaires ou d’expatrié.e.s. Le phénomène s’est accentué depuis la mondialisation et le développement des transports, mais le terme n’a été théorisé que dans les années 50 par la sociologue américaine Ruth Hill Useem.

Dis-moi d’où tu viens et je te dirais qui tu es

« D’où viens-tu ? » est l’une des premières questions posées lors d’une nouvelle rencontre selon les ETC interviewés. Or, les ETC éprouvent souvent des difficultés à y répondre, ne s’identifiant généralement pas qu’à une seule culture ou qu’à un seul pays. Ils.elles possèdent une culture hybride, résultant d’un mélange entre la culture de leur pays d’origine et celle(s) de leur(s) pays d’accueil.

Or, comme le démontrent des recherches, sans savoir d’où elle vient, il est difficile pour une personne de savoir qui elle est. En fait, 27 % des ETC se considèrent comme des « citoyen.ne.s du monde » plutôt que d’un pays en particulier. Ces difficultés identitaires les rendent à risque d’expérimenter de la solitude, de l’anxiété, de la dépression et d’autres problèmes de santé mentale

Les parents d’Alexandre Marie, élève en onzième année dans un lycée français, sont Français.e.s, mais sa famille et lui ont vécu en Allemagne, en Libye, en Éthiopie puis en Indonésie, avant de revenir en France. Selon lui, la question « d’où viens-tu ? » est complexe, car son enfance a été constituée par l’ensemble de ces pays. 

La difficulté est la même pour Lyeth Tchitembo, étudiante à l’Université d’Ottawa en sociologie et études féministes de genre, dont les parents viennent du Congo, mais qui a grandi au Burkina Faso, au Bénin, en Côte d’Ivoire et en Guinée. Même si elle se sent davantage burkinabé que congolaise, elle préfère s’identifier au terme « ouest-africaine » pour englober tous les pays qui font aujourd’hui ce qu’elle est : « Je me sens africaine et non citoyenne d’un seul pays », affirme-t-elle.

Être un.e étranger.e dans son propre pays

Beaucoup des ETC interrogé.e.s se sentent différent.e.s des autres, voire incompris.e.s. C’est surtout le cas pour Gwen Ar Foll, qui vient de France mais a grandi aux Émirats arabes unis, en Éthiopie et au Kenya. Il explique que ses anglicismes, de même que son accent, ont parfois été moqués par les Français.e.s. N’y ayant vécu que deux ans et n’ayant pas la même culture, lorsqu’il y est retourné, il s’est senti comme un touriste.

Guillaume Koffi Yobou est né et a habité en Côte d’Ivoire jusqu’à ses six ans, puis a grandi au Cameroun, au Kenya et en Jordanie, avant de venir à Ottawa où il fait des études d’architecture au collège La Cité. En revenant dans son pays d’origine, il se sentait lui aussi étranger, s’étant rendu compte que sa manière de parler et de voir les choses était différente des autres. Ce sentiment a diminué avec le temps, et il se sent aujourd’hui pleinement ivoirien.

Quant à Tchitembo, bien qu’elle soit d’origine congolaise et que sa langue maternelle soit le lingala, elle déclare se sentir davantage chez elle au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. « Les gens ne comprennent pas pourquoi je ne dis pas simplement que je suis Congolaise. Mais je connais peu de choses du Congo, j’y suis très peu allée, je n’ai pas grandi là-bas », explique-t-elle.

Ce sentiment est appelé le choc culturel inversé, qui décrit le sentiment de désorientation éprouvé par les individus qui retournent dans leur pays d’origine et constatent qu’ils ne s’y intègrent plus comme avant. Environ 75 % à 90 % des adultes ayant vécu une enfance interculturelle se sentent culturellement différent.e.s des personnes n’ayant pas vécu à l’étranger.

Un avantage sur le marché du travail ? 

Les ETC interrogé.e.s affirment que leur expérience interculturelle leur a permis de développer des aptitudes linguistiques et d’acquérir des connaissances culturelles, ainsi qu’une bonne capacité d’adaptation.

L’expérience au Kenya d’Ar Foll lui a permis de devenir bilingue en anglais. Il a aussi développé un attachement pour la langue arabe et quelques bases en amharique lorsqu’il était en Éthiopie et en Swahili au Kenya. Il parle en plus l’espagnol, un peu de breton et apprend le russe dans le cadre de ses études. Similairement, Marie parle français, anglais et allemand et apprend en parallèle le japonais.

Plusieurs mentionnent ainsi que leur enfance a aiguisé leur curiosité et élargi leur ouverture d’esprit, des qualités qui peuvent s’avérer utiles sur le marché du travail. Koffi Yobou mentionne qu’avoir vu différentes cultures et styles architecturaux lui apporte beaucoup d’idées dans ses études, et qu’avoir fréquenté différents pays est un avantage sur un CV.

Néanmoins, cela peut être un inconvénient, car beaucoup d’ETC éprouvent des difficultés à s’installer à long terme dans un pays. Tchitembo reconnaît ressentir ce besoin de constamment bouger. Elle explique donc que dans le futur, il sera impératif pour elle de travailler dans une institution qui lui permettra de voyager. 

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