Inscrire un terme

Retour
Arts et culture

Le sexisme sans dessus dessous sur vos écrans

Culture
30 mars 2021

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Critique rédigée par Marie-Ève Duguay – Journaliste

Imaginez un monde dans lequel les stéréotypes attribués aux genres seraient inversés. Les hommes y occuperaient des postes de secrétaires, les femmes s’y entraîneraient torse nus, et exigeraient que tous les êtres masculins soient intégralement épilés. Étrange, non ? C’est pourtant cet univers qu’explore Éléonore Pourriat dans son premier long métrage Je ne suis pas un homme facile, réalisé en 2018. 

Dans ce film français, le misogyne Damien, joué par Vincent Elbaz, se retrouve coincé, suite à un choc à la tête, dans une société où les femmes sont au pouvoir. Il a beaucoup de difficulté à se tailler une place dans ce milieu, mais sa rencontre avec sa copie conforme dans ce monde inversé et écrivaine Alexandra Lamour, personnage incarné par Marie-Sophie Ferdane, sera définitive.

Si l’auteure se sert d’abord de lui pour la création de son prochain roman, elle finit par tomber follement amoureuse de Damien. C’est la relation entre les deux personnages qui met de l’avant les inégalités auxquelles sont constamment confrontées les femmes d’aujourd’hui. 

Phallocratie exposée

En s’inscrivant dans l’ère des mouvements #MoiAussi et #97pourcent, le film participe grandement aux discours militants qui se font de plus en plus entendre de nos jours. Le personnage principal est forcé de vivre tout ce qu’il a fait subir aux femmes au fil des ans : c’est à son tour de se faire reluquer dans la rue, et de se faire percevoir comme une simple conquête sexuelle. Autant la comédie m’a fait rire, elle m’a surtout fait rire jaune. À force que le film avance, nous prenons de plus en plus conscience de l’absurdité et du ridicule de la collectivité dans laquelle nous évoluons. 

Les femmes sont au pouvoir dans cet univers parallèle parce qu’elles sont perçues comme étant caricaturalement masculines. Elles s’habillent en complet trois-pièces cravaté et se disputent en écoutant des sports télévisés, tandis que les hommes portent le voile et cuisinent. Pourriat arrive ainsi à soulever un point important : les traits masculins sont fondamentalement liés au pouvoir et, même dans une société fortement matriarcale, ce sont ces traits qui l’emportent. Le commentaire critique qu’effectue la réalisatrice fait énormément réfléchir, et c’est ce qui fait sa force dans la lutte pour l’égalité des genres. 

Imprécision frustrante

Comme l’ont fait un grand nombre de films et de séries Netflix, Je ne suis pas un homme facile a beaucoup fait parler de lui. Même s’il est sorti il y a quelques années déjà, le long métrage demeure un sujet de conversation brûlant sur les réseaux sociaux. 

Ce n’est cependant pas le manque de cohérence dans certains aspects du film qui a contribué à son succès. Entre scènes musicales interminables et scénario peu crédible, la prémisse du récit se noie rapidement dans cette histoire d’amour non conventionnelle.

En effet, il n’y a qu’une seule réplique dans l’entièreté du long métrage qui est vouée à expliquer l’existence de ce système dans lequel les inégalités ont changé de camp. Perdue dans le dialogue rapide des personnages, la ligne qui explique que les femmes sont en charge parce que la nature les a « désignées pour porter des enfants » se fait vite oublier. C’est le genre de film qui aurait profité d’un script plus fort. 

En plein dans le mille

Je crois toutefois que l’œuvre arrive à briller par l’attention qu’elle porte aux détails et par le commentaire social qu’elle met en lumière. Dans ce monde parallèle, tout est inversé : nous y apercevons des femmes qui urinent debout, Monsieur Bovary de Flaubert dans la bibliothèque d’Alexandra, et des annonces pour une adaptation de la pièce Les hommes savants de Molière dans les rues. Certain.e.s pourront critiquer ces détails qui peuvent paraître exagérés et superflus, mais ils permettent toutefois de mettre en évidence les fondements sexistes sur lesquels règne notre société actuelle. 

En évitant aussi les morales trop explicites et en présentant un renversement de situation inattendu, Pourriat a fait de son long métrage une production dépourvue de clichés. Son travail est loin d’être un chef-d’œuvre, certes, mais là n’était pas non plus l’intention de la réalisatrice. Elle cherchait plutôt à faire réfléchir, et semble avoir atteint son objectif avec brio.

La réalisatrice a su créer un film captivant en dépit de ses défauts. De fait, je n’ai même pas eu à l’écouter en accéléré, comme je me trouve souvent à le faire ces temps-ci. Je ne suis pas un homme facile est une comédie amère qui pousse les spectateur.rice.s à voir le sexisme sous une lumière nouvelle, et qui ouvre la porte à des discussions importantes. C’est toutefois dommage que les rôles doivent ainsi être inversés pour que certain.e.s prennent conscience de la situation, et soient finalement appelé.e.s à réagir.

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire