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Arts et culture

Comment j’ai vécu l’émission Sex Education

Emmanuelle Gauvreau
19 octobre 2023

Crédit visuel : Netflix — Samuel Taylor

Chronique rédigée par Emmanuelle Gauvreau — Cheffe du pupitre Arts et Culture

Comme plusieurs, je crois, j’attendais impatiemment la quatrième et dernière saison de la série Sex Education. Indépendamment de ses personnages hautement attachants et de son histoire à laquelle il est impossible de ne pas se rattacher, l’émission est venue ébranler des choses en moi de manière que je n’aurais jamais su anticiper.

La série Sex Education est un déboîtement d’archétypes, un regard permissif et sans jugement sur ce que l’on croirait ne plus être des tabous aujourd’hui. Je croyais être un livre ouvert, ayant fait ma paix avec quelques expériences douloureuses avant de regarder cette quatrième saison qui a amené ma guérison un peu plus loin.

Il serait mentir de prétendre que j’ai tout de suite été charmée par la série. Le climat progressiste du nouveau collège dans lequel la majorité des personnages commencent à étudier m’a d’abord mise sur mes gardes, me portant à croire que le ton instructif de l’émission virerait à quelque chose de moralisateur. Au contraire, cet aspect est venu me prendre à mon propre jeu ; j’ai compris que l’émancipation personnelle et la conscience sociale ne riment pas nécessairement avec être dépourvu de nuances.

Où en sommes-nous ?

Parlons de la première vraie rencontre entre les personnages de Maeve (Emma Tachard-Mackey) et Jean (Gillian Anderson). Pour la première fois de toute l’émission, la mère d’Otis se mêle de manière constructive à la vie de son fils en encourageant sa copine de se choisir, avant tout, et de ne pas se décourager.

« Je ne te connais pas très bien, Maeve. Mais il me semble que tu es le genre de personne qui s’est élevée toute seule depuis son plus jeune âge. Et d’après ce que je vois, tu fais du très bon travail », répond-elle à Maeve, qui souhaite abandonner l’Université prestigieuse dans laquelle elle étudie suite à un commentaire désobligeant de l’un de ses enseignants.

« Je pense que ce dont tu as besoin, c’est de quelqu’un dans ton coin. D’un parent qui te rappelle de te relever, de rester résiliente, de continuer à croire en toi », continue-t-elle, avant de dire à Maeve qu’elle croit que cette dernière a tout en ses moyens pour réussir. Un peu plus tard dans l’émission, Maeve confronte son enseignant « gatekeeper ». Elle reprend les propos de Jean pour défendre sa sensibilité et son estime plus fragile que les autres : « Je n’ai pas de filet de sécurité. »

Là où j’ai été touchée

La table est ainsi mise pour la reprise de pouvoir de Maeve, qui choisit enfin son bonheur, sans culpabilité. Malgré l’absence de ses parents, elle sait maintenant qu’elle pourra toujours se retourner vers ses ami.e.s, sa famille choisie, si les choses venaient à se corser à nouveau. Elle comprend aussi qu’elle doit être plus indulgente avec son décalage de privilège qui la différencie de ses autres camarades.

Cela a automatiquement résonné avec moi. Les histoires familiales telles que vécues par Maeve et par Otis sont toutes très proches de moi. Tant au niveau des problèmes de consommation, de santé mentale, d’absence physique ou émotionnelle et de violence conjugale.

Ayant toujours carburé sur la « sur indépendance », je me suis rarement permise d’avoir des attentes, de dépendre sur certaines personnes. C’est récemment que j’ai compris que cela était possible, voire nécessaire. Je n’ai jamais cru que je ne méritais pas d’accomplir quoi que ce soit, mais il m’est souvent arrivé de ne plus savoir où me retourner lorsque les choses se corsent et de me pénaliser moi-même.

L’émission a validé mon besoin de savoir qu’il existe quelqu’un vers qui je peux me retourner, sans culpabilité. Quelqu’un vers qui je pourrai me décourager, dans toute ma laideur, sans craindre de réprimandes ou de remises en question. Quelqu’un qui ne me fera pas endosser une posture de vigilance, centrée sur aider l’autre plutôt que moi-même.

Il est important de ne pas cacher d’où on vient, ses expériences, son vécu. Sex Education m’a confirmé que de reconnaître et de nommer ses expériences douloureuses constituent une reprise de pouvoir nécessaire avant de pouvoir entamer un réel processus de réconciliation.

Plus encore, la série m’a démontré que l’émancipation personnelle est possible, avec ou sans une réconciliation avec la famille. Pensons à la relation d’Adam (Connor Swindells) et son père, ancien directeur de Moordale, un homme émotionnellement refoulé depuis de nombreuses années et ayant négligé son lien avec ce dernier. La reconstruction de leur relation dans la saison quatre est maladroite, mais elle va à l’encontre du préjugé qu’un comportement toxique est nécessairement fixe.

Il est possible de lâcher prise sans culpabilité. Il est possible de reconnaître que l’on a vécu une forme d’oppression ou de souffrance sans que cela ne soit une forme de pitié envers soi-même. Il est possible de s’accrocher à l’idée que les choses iront mieux, ou non. En vérité, et plus souvent qu’autre chose, c’est de justice et de l’amour qu’on a soif.

L’indépendance, comme Maeve a su trouver dans ses circonstances, est une force. Mais, la force d’accepter que l’on ait besoin des autres l’est tout autant, il ne faut pas l’oublier.

Sex Education est un « safe space », un filet de sécurité, peut-être même une ressource, pour ceux.celles qui n’en ont pas. L’émission réussit avec brio de ne faire d’aucun personnage des victimes, et d’aucun personnage des personnes fondamentalement mauvaises. Elle dépeint des êtres proactifs en réaction à des environnements avec lesquels ils ne sont pas compatibles, et qui sont parfois toxiques.

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