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Arts et culture

Faire vivre le théâtre franco-ontarien queer à Sudbury, entrevue avec Alex Tétreault

Emily Zaragoza
9 février 2024

Crédit visuel : Rachel Crustin (ONFR)

Entrevue réalisée par Emily Zaragoza — Journaliste

Le 20 janvier, l’équipe de Réseau Ontario a clôturé sa 43e édition de Contact ontarois. Le jeune artiste franco-ontarien, Alex Tétreault, a retenu l’attention du jury et reçu deux prix grâce à son projet Nickel City Fifs : une épopée queer sudburoise sur fond de trous.

La Rotonde (LR) : De quoi parle votre pièce ?

Alex Tétreault (AT) : C’est une pièce de théâtre qui suit le personnage de Tristan, un jeune queer qui débarque au bar Zigs à Sudbury (le seul bar gai du nord de l’Ontario) pour la première fois. Tristan souhaite quitter le nord de l’Ontario pour Toronto, parce qu’il a l’impression qu’une personne queer ne peut seulement vivre ouvertement que là-bas. Pendant la soirée, la Sainte Poésie, qui est l’esprit protecteur de Sudbury, intervient et va essayer de le persuader de rester.

En quelques mots, je dirais que c’est une pièce clownesque, touchante, ridicule, irrévérencieuse et profondément stupide, mais de la meilleure façon !

LR : Pourquoi avoir choisi cette thématique ?

AT : J’ai écrit et monté la pièce de théâtre que j’aurais aimé voir quand j’étais jeune. Comme la majorité des adolescent.e.s de Sudbury, qu’ils soient queers ou non, j’avais pour projet de partir, mais j’ai trouvé une communauté et j’ai choisi de m’y impliquer activement. C’est important d’avoir une culture queer locale qui est forte, et d’avoir quelqu’un qui ne quitte pas et qui travaille pour la communauté qui reste.

Je me suis également inspiré de situations sociales où je devais choisir entre mes deux chapeaux identitaires. Dans un contexte francophone, c’est difficile d’être pleinement queer, parce que la majorité du travail qui se fait dans la communauté est en anglais. Il y a beaucoup plus de travail à faire pour sensibiliser la communauté franco-ontarienne aux enjeux queers. C’est également difficile pour un francophone de pleinement participer dans un environnement queer anglophone. Donc, je voulais créer une occasion pour que ces deux communautés se rencontrent sur scène.

LR : Selon vous, la pièce a-t-elle été un succès ?

AT : Lors des représentations pour le grand public, des élèves de mon ancienne école secondaire sont venu.e.s voir le spectacle. À la fin de la pièce, il y a un des jeunes qui s’est approché pour discuter avec moi. Il m’a dit à quel point cela lui faisait du bien de voir des gens comme lui sur scène et qui, en plus, parlaient français. C’était mon objectif avec ce projet-là. Si j’ai été capable de toucher au moins une personne avec ma pièce, alors cela en valait la peine.

LR : Quelles sont les difficultés auxquelles il faut faire face lorsqu’on décide de monter un tel projet ?

AT : Le plus grand obstacle, c’est le financement. Ce n’est pas évident d’avoir les ressources nécessaires pour monter un projet, surtout lorsqu’on est minoritaire. Il y a vraiment des barrières techniques au sein du milieu artistique et beaucoup de problèmes dans la façon dont on fait de l’art. Si tu n’as pas l’espace mental, les capacités, le soutien pour contourner ces obstacles-là, ton projet ne verra pas le jour.

Pour les artistes qui sont d’une certaine minorité ou qui sont doublement ou triplement minoritaires, les ressources à leur disposition diminuent et cela devient de plus en plus difficile. Non seulement de faire de l’art, mais aussi de survivre dans la vie. Pour les artistes émergent.e.s ou issu.e.s de communautés marginalisées, recevoir un soutien financier ou une bourse permet de mener à bien son projet. Donc, en définitive, cela favorise la diversité au sein du milieu artistique. Je pense que c’est très important.

LR : Comment avez-vous vécu cette récente reconnaissance de votre travail ?

AT : Je ne m’attendais vraiment pas à recevoir de prix. Mon projet est assez vulgaire, parle beaucoup de Sudbury, donc il y avait l’enjeu de l’exportation du spectacle. Je ne savais pas comment les gens allaient réagir. Après la présentation, beaucoup de personnes sont venues me voir pour me dire qu’ils.elles étaient touché.e.s par le projet.

Avoir obtenu deux prix, c’est un tournant pour ma carrière artistique. Cette reconnaissance va être un moteur pour la suite. Un premier projet, tout le monde peut le faire, c’est le deuxième qui détermine vraiment si quelqu’un a du potentiel. Je vais essayer de ne pas trop me mettre de pression sur les épaules et de continuer à porter les enjeux queers qui sont chers à mon cœur. Ce que je peux dire, c’est que mes prochains projets auront également une portée sociale, car, pour moi, l’art doit avoir un message revendicateur.

LR : Si vous pouviez vous adresser directement aux étudiant.e.s, que leur diriez-vous ?

AT : Il y a de plus en plus de personnes dans la société qui considèrent l’art comme quelque chose de facultatif à la vie. Je dirais aux étudiant.e.s qu’au contraire, l’art permet d’aller à la rencontre de communautés, d’expériences qui diffèrent de la leur. Il permet de faire passer des messages politiques de manière plus humaine. Il crée une conversation entre les artistes et le public afin de s’exposer à des idées différentes des siennes : c’est toute sa puissance. Faire la démarche d’aller se confronter à l’art fait de nous de meilleur.e.s citoyen.ne.s, mais surtout, de meilleur.e.s humain.e.s. !

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