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Image colorée pour représenter le Centre de la fierté
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Francophonie, Period Project, santé mentale, asexualité… : discussion informelle avec le Centre de la Fierté

Camille Cottais
3 avril 2022

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Entrevue réalisée par Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités

Le Centre de la Fierté est un service dépendant du Syndicat étudiant de l’Université d’Ottawa (SÉUO) (UCU 215) et qui existe depuis plus de 25 ans. La Rotonde s’est entretenue avec Armonía Joachim (elle), responsable des communications du Centre, ainsi qu’avec trois de ses membres : Phoebe (elle), Ashton Renaud (il/iel) et Sam Montgomery (ille).

La Rotonde (LR) : Quels sont les différents services et événements proposés par le Centre de la Fierté ?

Armonía : Le Centre offre avant tout un service social. C’est un espace pour les membres de la communauté voulant rencontrer des personnes ayant des expériences similaires aux leurs.

On offre aussi des sessions d’écoute active avec Matthew Bromley, le coordinateur du Centre. Même si nous ne sommes pas des thérapeutes, parler aide beaucoup les gens, et nous pouvons les diriger vers d’autres ressources au besoin.

On offre beaucoup d’informations sur le sexe, la santé, sur comment être une personne queer dans ce monde. On a aussi une bibliothèque qui est pleine de livres, à propos de sujets LGBTQI+ mais aussi d’autres choses. De plus, nous organisons des événements sociaux ; nous avons régulièrement une soirée jeux de société.

Sam : Parfois, nous regardons aussi des films, des séries ou des comédies musicales. Nous avons un présentoir de vêtements non sexistes. Ce présentoir est utile pour les personnes transgenres. Particulièrement lorsqu’elles ne sont pas « out » et vivent chez leurs parents, elles peuvent difficilement aller au magasin pour acheter ce genre de vêtements.

Armonía : On offre également un espace pour garder les choses qu’on ne peut pas apporter à la maison. Par exemple, cela arrive souvent que quelqu’un dépose un binder ici.

Phoebe : Le Centre m’a vraiment fait comprendre la signification du terme safe space. C’est comme un deuxième chez soi, où on peut exister confortablement, sans avoir peur.

LR : Comment faites-vous la promotion du bilinguisme ?

Armonía : Je pense que nous sommes le seul endroit sur le campus offrant des pins de pronoms en français, ils sont difficiles à trouver. Il faut souligner qu’il y a beaucoup d’autres pronoms neutres en français que « iel », pour lesquels nous avons des pins, comme par exemple « ille » ou « ielle ». 

Phoebe : Le Centre est selon moi particulièrement bilingue parce que beaucoup de francophones queer le fréquentent, peut-être la moitié ou les deux tiers des personnes venant au Centre. Il y a également une grande communauté d’hispanophones.

LR : Est ce que vous pensez que les francophones LGBTQI+ subissent des discriminations particulières en raison de l’intersection entre la langue et l’orientation sexuelle ou l’identité de genre ?

Armonía : En effet, c’est particulièrement le cas pour les personnes non-binaires francophones, car c’est une langue très rigide au niveau du genre. L’an dernier, j’ai écrit un article pour le mois de la francophonie à propos du langage épicène, et il y avait des personnes dans les commentaires qui disaient que je détruisais la langue française.

Sam : C’est difficile de conjuguer les adjectifs d’une façon neutre en français. En anglais, si on ne connaît pas le genre de la personne ou qu’elle est non-binaire, il y a « they/them » et on ne conjugue pas les adjectifs. Mais en français, c’est toujours « il » ou « elle », et il n’y a pas d’option lorsqu’on ne sait pas le genre. Généralement, on utilise « il » comme le neutre, mais utiliser les conjugaisons masculines peut ne pas convenir à une personne non-binaire.

Très peu de personnes ne faisant pas partie de la communauté utilisent iel, alors que les anglophones utilisent de plus en plus « they » même en dehors de la communauté.

LR : Il y a quelques mois, le Period Project a mené à l’installation de dispensateurs de produits menstruels dans les salles de bain féminines. L’Université a refusé d’en installer dans les salles de bains masculines et neutres. Qu’en pensez-vous ?

Armonía : On ne pense pas assez aux personnes transgenres. Pour nous, c’était très important d’avoir des dispensateurs dans les salles de bain masculines et neutres. Le Period Project a essayé de faire cela, mais cela a été bloqué par l’Université. C’est difficile pour nous d’appuyer ce projet s’il n’est pas inclusif des personnes trans.

Ashton : Je suis une personne trans masculine, j’utilise les salles de bain masculines, et il n’y a pas de produits alors que j’en ai besoin. Il devrait y avoir des dispensateurs dans les salles de bain non genrées, puisque environ la moitié des personnes qui les utilisent ont besoin de ces produits.

Armonía : Il y a un dispensateur dans une salle de bain non genrée, mais tous les autres sont dans les salles de bains féminines.

Sam : La salle de bain non genrée est très loin, je ne peux jamais l’utiliser. Il faudrait plus de salles de bain non genrées. D’habitude, j’utilise la salle de bain des femmes, mais je ne suis pas une femme, et je ne peux pas utiliser la salle de bain masculine parce que j’ai peur de me faire ridiculiser. Être dans une salle de bain non genrée, c’est enfin ne plus me sentir comme si j’étais à la mauvaise place.

LR : On sait que les personnes LGBTQI+ sont particulièrement vulnérables aux problèmes de santé mentale. Que peut faire l’Université selon vous ?

Armonía : Le principal problème est que cela prend très longtemps pour pouvoir accéder aux ressources. Quand j’en avais besoin, cela a pris six ou sept mois avant que je ne puisse parler à quelqu’un.

Phoebe : On aimerait plus de flexibilité et plus d’options. Personnellement, quand je me suis inscrite pour les services de thérapeutes à l’Université, il y avait une option pour choisir un.e thérapeute racisé.e ou femme, ce qui est bien, mais la plupart d’entre elleux n’étaient pas disponibles, car il y en a trop peu.

Sam : C’est la deuxième fois que j’utilise les services de conseiller.e.s à l’Université, et j’étais très chanceux, car cela a été assez rapide, j’ai seulement attendu trois semaines. C’est tout de même difficile, car on a seulement six à huit sessions, donc si c’est quelque chose à long terme, qui concerne par exemple le genre, cela ne suffit pas.

Les temps d’attente sont encore plus long lorsqu’on est francophones. Quand je cherchais un.e conseiller.e, j’ai regardé en français, et le temps d’attente était de deux mois.

Phoebe : Au sujet de la santé mentale, une chose qui personnellement m’affecte beaucoup est le coût du logement et des cours à l’Université. Comme personne trans, je suis dépendante de mes parents, mais ils ne savent pas qui je suis vraiment, donc il y a toujours cette menace que s’ils découvrent que je suis trans, je n’aurai plus de fonds et serai sans abri.

LR : Qu’est ce que vous pensez du débat assez récurrent, surtout dans la communauté queer francophone, sur la place des personnes aromantiques et asexuelles dans la communauté LGBTQI+ ?

Sam : Je suis moi-même asexuel.le, et nous faisons partie de la communauté. On ne vit pas le même type de discriminations, mais l’idée persiste, même au sein de la communauté, que tout le monde aime le sexe, que ce n’est pas possible de ne pas aimer ça. Beaucoup de personnes pensent qu’il doit y avoir quelque chose de wrong avec toi si tu es asexuel.le, que tu es traumatisé.e, que quelque chose doit l’avoir causé.

Ashton : Moi aussi, je suis asexuel. J’avais une thérapeute à qui j’ai dit que je l’étais, et elle m’a répondu : « Do you think you just haven’t find the right person yet ? » (« Penses-tu n’avoir juste pas encore trouvé la bonne personne ? »)

Sam : J’ai eu le même genre d’expériences. J’ai réalisé que j’étais asexuel.le à 13 ans et beaucoup de personnes m’ont dit que j’étais trop jeune pour savoir. Alors j’ai commencé à ne plus en parler, de peur qu’on me dise que ça n’existe pas ou que je doive encore et encore expliquer de quoi il s’agit.

LR : Le mois de juin, mois de la fierté, se rapproche. En Amérique du Nord, l’aspect commercial des prides est souvent critiqué. Des banques ou des chaînes de vêtements sponsorisent par exemple ces événements. Que pensez-vous de cette commercialisation de la fierté et du pink washing en général ?

Sam : Je pense que si des personnes non queer ou des compagnies veulent nous supporter, il faut le faire toute l’année et non juste pour le mois de juin. Sinon, c’est évident que c’est pour l’argent ou se donner une image progressiste.

Phoebe: Ne mettez pas le drapeau de la fierté dans votre entreprise ou votre commerce si vous ne faites pas l’effort d’inclure tout le monde.

Armonía : La pride reste quand même importante pour moi, j’y vais chaque année. Mais ici, au Canada, c’est plutôt une fête qu’une manifestation. C’est une opportunité de célébrer les personnes LGBTQI+, de célébrer nos identités, de nous rendre compte que nous ne sommes pas seul.e.s, qu’il y a beaucoup d’autres personnes comme nous.

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