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La vengeance pornographique : détruire le voile de l’intimité

Daphnée-Maude Larose
6 décembre 2023

Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah — Directrice Artistique

Article rédigé par Daphnée-Maude Larose — Journaliste

Du 25 novembre au 6 décembre 2023 a lieu la 14e édition des 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes organisée par la Fédération des femmes du Québec (FFQ). Ces violences peuvent prendre différentes formes ; la vengeance pornographique, un phénomène particulièrement présent dans notre ère numérique, en est une. Quels sont ses impacts sur ses victimes ? Pourquoi les discours entourant ce type de violence sont-ils néfastes ?

Amina Doreh, coordinatrice des médias et de l’éducation publique au Centre de soutien aux victimes d’agression sexuelle d’Ottawa, caractérise la vengeance pornographique comme  étant « une distribution non consensuelle d’image sexuelle ». Elle souligne que c’est une violation volontaire du consentement. Cet acte est effectué dans le but de susciter la peur et la honte chez la personne touchée ainsi que d’exercer un contrôle, affirme Doreh. Selon Sandrine Bernier Collard, victime de vengeance pornographique, il s’agit de l’utilisation d’informations vulnérables ayant été partagées dans un moment intime qui ne respecte pas les limites de l’individu impliqué.

Selon Doreh, la vengeance pornographique est une violence sexuelle. « C’est un type de violence que nous ne catégorisons souvent pas comme tel en raison de la stigmatisation et des fausses idées sur la violence genrée », évoque-t-elle. Tant qu’il est question d’une exploitation de pouvoir sans le consentement de la personne concernée, il s’agit d’une violence, d’après la coordonnatrice.

Au Canada, 60 à 70 % des étudiant.e.s universitaires affirment pratiquer le « sexting » que ce soit par médias sociaux ou par simple application de messages. Cette même étude démontre qu’un.e participant.e sur 10 a déjà été menacé.e de diffusion de ses photos personnelles et parmi ces cas, 60 % ont réellement été exposés.

Des effets à long terme

« Le traumatisme psychologique de la vengeance pornographique est immense », affirme la coordonnatrice. Elle a des répercussions sur la santé mentale et émotionnelle, ainsi que la capacité à développer des relations saines, poursuit-elle. Cette violence peut laisser des séquelles pour toute une vie, ajoute Doreh.

Bernier Collard pense que cela l’a obligée à grandir et à être mature, afin de se suffire à elle-même. Personne ne la croyait ou ne connaissait la vraie histoire : elle a donc dû s’assurer qu’elle était apte à traverser cette situation seule, énonce-t-elle. Cette dernière raconte qu’elle était très anxieuse à l’école secondaire, puisque ses photos personnelles avaient été partagées par un de ses amis sans son consentement et que cela a fini par tourner tous.tes ses ami.e.s contre elle. « C’était beaucoup d’émotions très fortes, donc cela a été un gros ajustement », mentionne-t-elle. Elle affirme qu’elle ne croit pas avoir surpassé cette expérience et tout ce qu’elle implique. « Je n’y ai pas vraiment réfléchi, je l’ai juste mis derrière moi et j’ai continué à avancer », informe-t-elle.

Celle-ci soutient que la douleur venant de cette situation est passée, mais qu’elle ressent encore beaucoup de haine. « Je pense que je n’ai pas complètement fait face à mon expérience et peut-être que [cela] se reflète dans mes comportements sexuels et certaines choses dans ma vie », révèle-t-elle.

Un discours néfaste

Aux yeux de la coordonnatrice, il existe un discours normatif dans notre société selon lequel le devoir de prévenir les violences sexuelles est une tâche qui revient aux victimes. Doreh énonce que : « Cette croyance est conçue pour rediriger la responsabilité de l’offenseur vers la victime et individualise un problème systématique de violence sexiste. » Bernier Collard exprime qu’elle éprouvait déjà une difficulté à se convaincre elle-même que ce n’était pas de sa faute, et que ce discours a rendu cette tâche plus compliquée. Doreh affirme que ce type de croyance fatale est tellement ancrée et normalisée dans notre société qu’on en est souvent inconscient.e. Celle-ci développe que nos systèmes sont implantés de manière à déprécier et à effacer les expériences de violences de genre.

Bernier Collard mentionne que sa mère et elle ont tenté d’impliquer la police, mais elle explique que « [la police] m’a dit que c’est moi qui allais être dans le trouble, parce que c’est moi qui avais fait de la pornographie juvénile ». Cette dernière partage que son moment le plus bas dans cette situation a été lorsqu’elle a discuté avec une femme policière qui ne lui montrait aucune empathie et qui disait ne rien pouvoir faire pour l’aider. C’est un discours qui est particulièrement néfaste, parce que cela permet aux violences sexistes de persister, déplore Doreh. « Il s’agit d’une incompréhension fondamentale du fonctionnement de la violence […] et cela incite les auteurs de violences à continuer de faire du mal », soutient la coordinatrice.

À ce sujet, Bernier Collard souligne qu’il faut faire attention à qui vous donnez votre confiance et à qui vous envoyez vos photos personnelles. Il est essentiel « d’écouter son instinct », énonce-t-elle. La coordonnatrice rappelle qu’il est important de placer la responsabilité là où elle doit l’être et que ce n’est jamais la faute de la victime.

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