Les femmes et la politique, entrevue avec la très honorable Kim Campbell
Crédit visuel : Jürgen Hoth — Photographe
Entrevue réalisée par Emily Zaragoza — Journaliste
Le 18 octobre dernier, le Canada célébrait l’affaire « personne » : date à laquelle une décision constitutionnelle a accordé le droit aux femmes d’être nommées au Sénat, en 1929. Pour l’occasion, l’Université d’Ottawa a tenu une conférence organisée par le projet sur l’histoire des femmes à propos du pouvoir des femmes dans la vie publique, avec comme invitée la très honorable Kim Campbell. La Rotonde a assisté à la conférence et a pu s’entretenir en tête à tête avec l’ancienne première ministre.
Le 25 juin 1993, Kim Campbell devient la première femme à occuper le poste de première ministre au Canada. Lors de la conférence, elle est revenue sur cet épisode de sa vie qui a marqué l’histoire du Canada. Elle a indiqué s’être souvenue de ceux.celles qui croyaient que le poste était réservé aux hommes, mais a insisté avoir oublié les coups bas. Campbell a affirmé qu’elle préférait se concentrer sur sa mission de première ministre et essayer de « faire de la politique autrement », en prenant le temps d’échanger et de consulter les minorités ignorées jusqu’alors par les politicien.ne.s.
La Rotonde (LR): En 1993, vous avez été première ministre du Canada. Depuis, aucune autre femme n’a occupé ce poste. Pourquoi, selon vous ? Et comment faire pour atteindre la parité en politique ?
Kim Campbell (KC) : Je pense que c’est plus difficile qu’on ne le pense de devenir premier ministre au Canada. Il faut être élu chef.fe d’un parti politique, et surtout d’une formation politique qui a la possibilité de former le gouvernement. Les petits partis, plus ou moins fréquemment, ont des femmes qui sont à leur tête. Pour les grands partis, c’est un poste très désiré par tous.tes ceux.celles — surtout des hommes — qui ambitionnent de devenir premier.ère ministre.
Cela a été difficile pour moi, mais je me trouvais dans une situation intéressante, parce que j’avais été ministre de la Justice et ministre de la Défense. Grâce à ces postes importants, j’avais développé des relations avec mes collègues, qui ont pu m’appuyer par la suite.
Le plus essentiel, c’est d’avoir de plus en plus de femmes au Parlement, pour leur donner l’occasion d’apprendre, d’acquérir de l’expérience. Il y a, dans la société, beaucoup d’idées fausses en ce qui concerne les capacités des femmes. Il faut donc s’assurer de promouvoir l’image que ce sont des personnes très compétentes, parce que c’est la vérité.
Plus il y a de femmes au sein de postes de pouvoir, plus cela montre aux gens que ces fonctions ne sont pas réservées aux hommes, et petit à petit, cela va devenir habituel. Le premier ministre Justin Trudeau a créé un cabinet composé à 50 % de femmes. Cela accoutume graduellement les Canadien.ne.s à ces images féminines dans des rôles de pouvoir.
LR : Quel rôle le système juridique peut-il tenir pour protéger, voire renforcer, les droits des femmes ?
KC : Le problème, ce n’est pas tellement la loi, mais plutôt la connaissance des personnes dans les cours de droit. La Charte des droits et libertés est très importante, parce qu’elle donne la force et la base pour pousser les frontières afin de protéger les femmes et leurs droits. C’est aussi une question des attitudes et des pensées de la société. Si le public voit les femmes comme des personnes compétentes, des personnes de dignité qui gagnent le respect de leur entourage, c’est plus facile d’appuyer des lois qui protègent les femmes.
Aujourd’hui, nous célébrons l’affaire « personne » grâce à laquelle les femmes sont reconnues comme des personnes par la Constitution. Il y a un mot anglais que j’utilise : « personhood ». Le sens y est plus large que « personne ». C’est l’idée que les femmes sont des êtres de pleine capacité : aux niveaux intellectuelle, émotionnelle, sexuelle. Les femmes doivent pouvoir être nommées au Sénat, mais aussi disposer du pouvoir de faire tous les choix qui touchent à leur vie. Or, la question de l’avortement a montré que ce n’est pas toujours le cas, encore aujourd’hui.
LR : Que doivent faire les universités canadiennes pour encourager les femmes à faire de la politique et à occuper des postes de dirigeantes ?
Je pense que tout le monde doit encourager les femmes. Si nous voyons autour de nous des femmes qui aspirent à occuper un poste de pouvoir, nous devons les appuyer.
Dans notre société, nous devons raconter les histoires des femmes, pour qu’elles servent de modèles pour d’autres jeunes femmes. Nous devons enseigner et reconnaître les incroyables contributions de femmes en sciences, en littérature, en astronomie, en mathématiques, en géographie… Quand les femmes contribuent à faire de grandes choses, souvent, elles sont oubliées.
Nous devons donc rétablir la vérité. C’est en mettant en lumière le récit de ces femmes qui ont été effacées de l’histoire qu’on montrera que les femmes sont tout aussi capables que les hommes.
LR : Que voudriez-vous dire aux étudiant.e.s et particulièrement à ceux.celles qui veulent suivre vos pas ?
KC : La démocratie est très importante. Je suis la fille de deux anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale. En Italie, en France, aux Pays-Bas et dans d’autres pays d’Europe se trouvent les tombes de jeunes canadien.ne.s qui ont offert leur vie pour éliminer l’autoritarisme et le fascisme. Il faut honorer leur sacrifice en sauvegardant ce qu’ils.elles ont protégé par leurs actions, c’est-à-dire la démocratie. Je ne dis pas que la démocratie est parfaite — pas du tout. Elle a toutes sortes de problèmes. Comme disait Churchill, « la démocratie est le pire système de gouvernement, à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire ».
Il est primordial que les jeunes aient conscience de l’importance de la démocratie. Il n’y a qu’à regarder plus au Sud, pour voir qu’une autre option serait terrible. En sauvegardant cette fondation démocratique, le rôle de chaque génération est de perfectionner la société. Pour votre génération, il faudra assurer les droits des femmes et des personnes marginalisées, et puis il y a le problème du climat, qui a été jusqu’à présent terriblement négligé.