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cyberintimidation
Sports et bien-être

Les lois canadiennes gèrent-elles bien la cyberintimidation ?

Hai Huong Le Vu
10 novembre 2023

Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah — Directrice Artistique

Article rédigé par Hai Huong Le Vu — Journaliste

Un enfant sur quatre âgé de 12 à 17 ans a admis avoir déjà été victime de cyberintimidation en 2018, selon Statistique Canada. Quelle est sa place dans la société canadienne à présent, et comment est-elle juridiquement encadrée ? La Rotonde s’est penchée sur cette problématique.

Alexa Dodge, professeure en criminologie à l’Université Saint Mary’s, soutient que la cyberintimidation est une forme « d’intimidation et de violence facilitées par la technologie », comme la diffusion d’images intimes non consenties. Pierre Trudel, professeur de droit à l’Université de Montréal, constate que celle-ci a connu des progrès de reconnaissance dans la société : « Je me souviens d’une époque où on ne prenait pas les victimes de cyberintimidation au sérieux. »

Rôle de la législation dans la cyberintimidation

Selon Trudel, les lois civiles dans la plupart des provinces considèrent les actes de harcèlement en ligne comme des fautes civiles et condamnent les « coupables […] à indemniser les victimes ». Il confirme que les lois criminelles, pour leur part, qualifient la cyberintimidation comme un crime, avec la possibilité d’infliger « des peines importantes [qui] peuvent aller jusqu’à l’emprisonnement ».

Le professeur poursuit en soulignant des distinctions juridiques entre les mineur.e.s et les adultes en matière de cyberharcèlement. Si un.e adulte est reconnu responsable de cyberharcèlement, Trudel affirme que ses actions seront rendues publiques, et que l’intimidateur.rice fera l’objet de poursuites criminelles. En revanche, pour les coupables mineur.e.s, celui-ci précise que la législation leur fournira un soutien, tel qu’une réhabilitation, plutôt que de les traiter comme des criminel.le.s.

Une autre distinction concerne la protection de l’identité des coupables mineur.e.s, précise-t-il. Le professeur soutient que chez une personne mineure, « le stigmate causé par l’infraction peut lui coller à la peau pour toute sa vie ». D’après lui, la justice réagit différemment en fonction de l’âge de l’agresseur.euse mineur.e : « Un.e cyberintimideur.rice qui n’a pas atteint l’âge de quatorze ans n’est pas en mesure de déterminer que c’est mal d’intimider en ligne [selon la loi]. » Il rappelle que ces enfants sont en voie de développement et nécessitent donc l’assistance des adultes, tels que les parents, l’école, voire les autorités chargées de la protection de la jeunesse.

Être protégé.e par les lois, est-ce suffisant ?

En matière des recours juridiques, Trudel suggère aux victimes d’intimidation sur Internet de saisir la police, qui fera une enquête pour « appréhender » le.la coupable de cyberintimidation. Il leur conseille aussi de s’adresser aux tribunaux civils pour engager des poursuites contre l’intimidateur.rice. Cependant, le professeur de droit nuance que « l’intimidateur.rice se cache souvent derrière une fausse identité […] pour tenter de masquer son identité véritable », rendant la recherche de cette dernière « longue » et « complexe ».

Trudel poursuit en indiquant que la législation intervient notamment lorsque les actes de cyberintimidation sont motivés par la discrimination. Il s’agit d’une problématique à laquelle « les membres de la communauté LGBTQ+ […], les individus handicapés et les personnes neurodivergentes sont les plus vulnérables », révèle Dodge. Pour Trudel, ces victimes peuvent solliciter les commissions des droits de la personne pour demander des sanctions contre le.la harceleur.euse.

Toutefois, ce dernier déplore le fait que « les tribunaux et les processus policiers » répondent « trop lentement pour faire cesser la cyberintimidation ». La professeure de criminologie décrit aussi ces procédures comme « coûteuses » et « revictimisantes », et témoigne que « nous nous concentrons trop sur l’apport de réponses juridiques ». Elle suggère ainsi la création de groupes de soutien de santé mentale pour les victimes et d’éducation pour les coupables, afin de réduire la dépendance aux outils de justice.

Émergence de l’intelligence artificielle

« La législation européenne de cyberharcèlement, à cet égard, paraît beaucoup plus avancée que celle que nous avons ici », commente Trudel. Il évoque que les lois en Europe exigent davantage que les réseaux sociaux, tels que Facebook, Instagram et TikTok, adoptent un comportement plus « proactif ». Cela permet de limiter les risques liés à l’intimidation en ligne, poursuit-il. Ainsi, selon lui, les outils comme l’intelligence artificielle (IA) sont de plus en plus utilisés pour lutter contre des actes d’intimidation sur Internet.

Il prévoit que des lois européennes pourront exiger davantage des médias sociaux s’agissant de prévenir les actes « nuisibles » comme la cyberintimidation. « L’IA, et des outils fondés sur cette technologie pourraient tout à fait être utilisés pour éventuellement tenter de la diminuer », avance-t-il. Il s’attend également à voir son utilisation et son développement croissant.e.s dans les années à venir. Selon Trudel, cela montre son influence « importante » sur la prévention de la cyberintimidation dans le futur, notamment en Europe.

Il reste à voir si les législations sur la cyberintimidation pourraient continuer à évoluer au Canada. De nombreux enjeux sur l’espace numérique persistent, tels que la cybersécurité et la cyberdépendance.

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