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Arts et culture

Kimya fait son grand retour

Emmanuelle Gauvreau
19 février 2024

Crédit visuel : Phil Larivière  

Chronique réalisée par Emmanuelle Gauvreau — Cheffe du pupitre arts et culture

Kimya est un ami. C’est en pleine conscience de mon manque de distance que j’écris cette chronique sur celui que je connais sous le nom de Yannick. Je me dis que ceux.celles qui ne connaissent pas ce rappeur savent aussi rapidement trouver en lui un ami, voire un peu un coach de vie. Ce doit être le cœur qu’il porte au coin des lèvres, étampé aussi à ses deux petits yeux rieurs. Après avoir privé l’Ontario français de nouvelle musique depuis plusieurs années, Kimya est enfin de retour avec un premier album. 

C’était Akeem Ouellet, musicien avec qui il collabore d’ailleurs dans son nouvel opus Enfer et Paradis, qui m’a d’abord parlé de Kimya.  « Il faut que tu le rencontres », m’a-t-il répété à profusion. Ce qui a bien fini par se produire, quand il l’a invité un soir d’été à se joindre à nous pour du vin et du pain dans ma cour. On se serait cru à La Cène, sur fond gatinois humidifié par la pluie. Heureusement, l’arbre qui nous abritait avait des bras gras et bienveillants. Il était parsemé de lumières nouvellement achetées qui éclairaient presque l’entièreté de la rue. 

Cela nous a donné l’impression d’être sur scène, nous poussant à nous embarquer dans une séance de freestyle. C’était à ce moment surtout que j’ai entendu Yannick se porter au rap pour la première fois, avec sa voix rassurante et ses propos guérisseurs.

Ses débuts en rap 

Quand je lui demande en entrevue ce qu’il croit être « important » dans la vie, il me parle de bonté : « Il faut être une bonne personne. Toutes les grandes personnes que j’ai rencontrées étaient bonnes, justes et humbles ». Je ne peux m’empêcher de croire que parmi celles-ci se trouve son mentor, le rappeur R Premier. Kimya me raconte l’avoir d’abord accosté, en 2015, près d’une glacière dans le corridor d’un hôtel torontois, pendant un contrat avec la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne.

« Ses chansons collaient avec ce que j’écoutais à l’époque, le rap français, l’époque de Youssoupha », reconnaît-il. Une époque où le rap était « conscient », et où un désir de « revendiquer ce qui se passait en Afrique » habitait lui comme nombreux de ses proches. Il m’explique que : « La vie était moins belle parce qu’on travaillait fort, on n’avait pas vraiment de job, payer les études était difficile. Croire en tes rêves de faire de la musique, ce n’était pas possible ».

Quelques audacieux, comme le R Premier, donnaient espoir que cela l’était. Surtout dans un Ontario où le rap francophone se fait toujours rare.

Réflexions post-succès

Après un travail acharné de collaboration pendant deux ans est venue la sortie de son  premier EP Or et Flamme (2017), qui a rapidement connu un franc succès. « J’étais demi-finaliste du Festival international de Granby et, l’année suivante, [du] prix Découverte au Trille Or. Un documentaire a été fait sur moi », énumère-t-il.Il révèle qu’au cœur de cet EP se trouvait une « rage de dénoncer ce qui se passait au Congo, notamment dans les mines de coltan ». Un combat pour la justice non terminé, rappelle Kimya, qui fait mention des millions de mort.e.s dans son pays natal, sous la crise migratoire actuelle.

« Il ne fallait pas penser qu’à cause de notre couleur en manque d’éthique, et que l’Afrique manque de valeur, aucune richesse n’est ethnique » — extrait d’Or et Flamme

« Il y a des gens qui se lèvent et qui ne savent pas ce qu’ils vont manger le soir, mais à force d’avoir une communauté assez vivante et proche, les gens trouvent des solutions par rapport à tout, même sans les mêmes infrastructures qu’ici. Les personnes sont résilientes. Il y a de l’espoir parce que les gens sont très créatif.ive.s », m’informe-t-il.

C’est justement à l’espoir et à la paix que s’accroche Kimya au quotidien. Je lui demande sa définition de chacun. Il éclate de rire : « Toi et tes questions pièges! » 

Pour lui, la paix est synonyme de tranquillité d’esprit : « Je fais ce que mon cœur et mon âme veulent sans me reprocher que ce ne soit pas correct. J’essaye toujours d’essayer d’être conscient de chacune des choses que je fais pour ne pas avoir de remords. »

Garder l’espoir est synonyme de ne jamais taire ce que l’on a à cœur. « Il y a de l’espoir que le Congo va un jour connaître un meilleur jour », soutient-il, en relatant la présence de ses ressources humaines, de main-d’œuvre et de la jeunesse.

Ces réponses ne semblaient pas venir facilement à Kimya. « Après avoir sorti cet EP, je ne savais plus quoi dire. J’avais besoin de vivre autre chose », ajoute celui qui, face au succès inattendu, sentit rapidement le besoin de freiner. Il m’explique que sept années d’introspection pendant lesquelles pandémie, famille, emploi comme animateur culturel et quête identitaire l’ont fait voyager entre le paradis et l’enfer.

Un nouvel album prometteur

C’est ce mois-ci que Kimya a enfin révélé son premier album, Enfer et paradis. Une gamme de sonorités éclectiques, alliant des influences jazz, des riffs de guitare aériens et des vibrations de violon à des rythmes de hip-hop classiques et modernes singularise les huit trames.

Nous y sommes davantage plongé.e.s dans un univers introspectif et personnel que dénonciateur. « On dirait que je vis toujours plein de choses, je n’étais pas vraiment dans un endroit sain, j’ai dû contrer certains démons pour apprendre à bien me connaître », relate-t-il. Pour atteindre le paradis, il a réalisé que prendre soin de soi « physiquement, mentalement et moralement » était de mise.

La chanson Enfer et paradis aborde justement ce travail personnel que chacun.e doit faire pour être en mesure de « changer le monde ». Kimya est d’avis que « tu as le choix : d’être triste, de sourire ou d’aimer ». Ce dernier choisit d’être du côté « du soleil ».

Il hésite un peu avant de me dévoiler qu’une autre chanson près de lui est Merci, écrite à la suite d’une conversation éprouvante avec ses sœurs. Dans la chanson, il est possible d’entendre l’enregistrement de l’une d’elle chantant une prière. « Ça parle de ma famille qui est bénie, mes sœurs sont belles, mes nièces sont fortes. De comment le ciel me guide sur la route », m’explique-t-il.

Kimya, qui est actuellement en tournée en Ontario, me parle de la très bonne réception de ses nouvelles chansons à ce jour. C’est ce 23 février, au Centre national des Arts, que le public ottavien aura la chance d’entendre l’entièreté d’Enfer et paradis le temps d’un concert. La sortie de l’album est planifiée pour la même journée.

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