Les tests antidopage, garantissent-ils la justice dans le sport ?
Crédit visuel : Dawson Couture — Co-rédacteur en chef
Article rédigé par Hai Huong Le Vu – Journaliste
Âgée de 15 ans, la patineuse russe Kamila Valieva a testé positif à une substance interdite lors des Jeux olympiques (JO) d’hiver de Pékin en 2022. Alors qu’elle avait initialement gagné une médaille d’or avec son équipe, la sportive a été suspendue pour quatre ans. Cette affaire, éloignée géographiquement, soulève des questions sur l’équité des sanctions imposées aux jeunes sportif.ve.s et sur l’efficacité des mesures antidopage dans les institutions postsecondaires ici au Canada.
Nicolas Moreau, professeur titulaire à l’École de travail social de l’Université d’Ottawa (U d’O), soutient que retirer le prix à l’équipe de Valieva ne suffit pas. Étant donné que l’équipe canadienne a terminé quatrième, l’expert considère que cette tricherie a privé les Canadien.ne.s de leur moment de fierté sur le podium.
Test antidopage au nom de l’égalité sportive ?
Raynald Bergeron, professeur agrégé en kinésiologie et en sciences de l’activité physique à l’Université de Montréal (UdeM), et Moreau conviennent que le monde du sport adhère à un idéal démocratique selon lequel chacun.e a la même chance de réussir. Pour garantir cette idée, Moreau raconte que la France a mis en place des passeports biologiques pour ses athlètes afin de contrôler la consommation des produits interdits pendant les séances d’entraînement, en dehors des événements compétitifs.
Moreau est d’avis que cet idéal démocratique correspond tout de même à une illusion. Le professeur de l’U d’O dévoile que la lutte antidopage n’est pas égale dans les sports. Ainsi les coureur.se.s de cyclisme subissent très fréquemment des tests anti-dopages. « Il y a une inégalité entre les sports », constate-t-il.
Le professeur en travail social poursuit en témoignant que les sportif.ve.s amateur.rice.s consomment également des produits interdits. « Les athlètes veulent toujours avoir un avantage de plus que leur adversaire », enchaîne Bergeron. Le spécialiste de l’U d’O soulève la course cycliste en Espagne le 2 mars dernier comme exemple. Il explique que plus de deux tiers des participant.e.s (130 sur 182) ont abandonné en raison d’un contrôle surprise de substances dopantes à l’arrivée.
Faute individuelle ou faute collective ?
Selon Bergeron, le.la professionnel.le est « responsable » de ce qu’il.elle ingère dans son corps. Une étudiante-athlète novice d’aviron de l’U d’O, qui souhaite rester anonyme, rejoint cette pensée, à condition que l’athlète soit d’âge adulte. « Si l’athlète est majeur, il peut prendre ses propres décisions et connaît les règles, alors il peut être puni », raisonne-t-elle.
Moreau n’est pas tout à fait d’accord avec les deux intervenant.e.s. « Très souvent, on punit uniquement les athlètes », constate-t-il. À ses yeux, il faut aussi incriminer les personnes qui ont travaillé avec eux.
Il évoque le rapport McLaren qui a conclu en 2016 que le dopage avait été encouragé par les institutions russes, notamment lors des JO de Sotchi en 2014. La prise de substances illégales serait donc à la fois une faute individuelle et collective. Pour le professeur de l’U d’O, une personne peut toujours refuser de consommer des produits interdits, mais la pression sociale peut l’inciter à faire autrement.
Pour les sportifs.ve.s adolescent.e.s comme Valieva, Moreau estime qu’il est facile de les exhorter à prendre des substances interdites puisqu’ils.elles sont « très influençables ». Selon l’étudiante de l’U d’O, punir uniquement la patineuse russe n’est pas « juste » ; si un.e professionnel.le mineur.e est poussé.e à consommer un produit prohibé par son.sa entraîneur.euse, ce.cette dernier.ère devrait aussi être sanctionné.e.
La lutte antidopage, une problématique universitaire
Selon le professeur en travail social, les étudiant.e.s-athlètes subissent souvent la pression de leur université, y compris des entraîneur.se.s, de performer. L’expert suggère qu’il y a plusieurs d’entre eux.elles qui se dopent, en raison de ces exigences ambiantes. À son avis, ce fait est « inévitable » et « inhérent au système [sportif] », malgré l’existence des contrôles antidopage. « Dès que vous mettez des êtres humains en compétition, il y aura des gens qui utiliseront des stratégies [comme le dopage] pour gagner », poursuit Moreau.
Bergeron avance que les institutions postsecondaires disposent de moins de ressources pour mener des tests identifiant des produits interdits dans le corps des sportif.ve.s. Selon lui, les athlètes professionnel.le.s nationaux.ales ont des diététicien.ne.s qui choisissent pour eux.elles des suppléments médicaux. Ces expert.e.s cherchent des biens manufacturés par une usine réputée, et vérifiés par un laboratoire indépendant pour s’assurer qu’ils ne soient pas contaminés, précise-t-il.
Le professeur de l’UdeM croit à la nécessité d’informer les athlètes sur les dangers associés aux suppléments médicaux et de trouver des solutions si jamais ceux.celles-ci souhaitent les consommer. Leur expliquer le fonctionnement des règlements antidopage est également important, car celui-ci s’applique aux professionnel.le.s de tout niveau, souligne Bergeron.
Les JO reviennent à Paris cet été, du 26 juillet au 11 août. Avant le déroulement de ceux-ci, certaines équipes nationales ont reçu des restrictions « resserrées » aux fins de lutter contre le dopage.