Crédit visuel : Marina Touré – Co-rédactrice en chef
Article rédigé par Daphnée-Maude Larose — Journaliste
La nostalgie est un outil marketing particulièrement puissant. Associée à plusieurs moments passés, cette stratégie est entre autres utilisée par la plateforme de musique Spotify qui crée de multiples listes de lectures « retour en arrière ». Pourquoi l’être humain apprécie-t-il tant se souvenir du passé ? Comment expliquer le phénomène de la réminiscence ? Et quel est son rapport avec nos différents sens ?
Origine de la nostalgie
Philippe Cappeliez, psychologue clinicien et ancien professeur de l’Université d’Ottawa (U d’O), soulève que le terme « nostalgie » est relativement récent et qu’il a été inventé au 17e siècle par Jean Hofer, un médecin suisse. Il prend ses origines des mots grecques « nostos » et « algos », qui signifient retour et souffrance, détaille Cappeliez.
Ce mot aurait été imaginé afin d’obtenir un diagnostic médical applicable à un intense mal de pays, révèle Alexeï Kazakov, étudiant doctorant à l’U d’O spécialisé en recherche sur la nostalgie. Elle ne fait plus référence à la même chose de nos jours, parce qu’elle a traversé « une évolution sémantique », soutient Kazakov.
Kim Lavoie, professeure au département de psychologie à l’Université du Québec à Montréal et psychologue clinicienne, offre la distinction entre la nostalgie et la réminiscence. Elle explique que cette dernière se réfère seulement au fait de penser ou de se remémorer des expériences vécues. Aujourd’hui, la nostalgie renvoie plutôt à l’action de se remémorer ces mêmes souvenirs, mais avec un certain « sentiment de désir et d’émotions fortes », affirme la professeure.
Comment la mélancolie entre-t-elle en jeu ? L’étudiant au doctorat exprime que la mélancolie est une variété de nostalgie, selon le dictionnaire des sciences médicales de Percy Laurent de 1819. « La nostalgie est une mélancolie qui a pour objet un passé perdu, tandis que la mélancolie ne doit pas nécessairement être dirigée vers le passé », précise-t-il.
Odeurs et sentiments
La base neurologique de ce phénomène réside dans le cerveau, remarque la psychologue. Elle souligne que les signaux olfactifs rejoignent très rapidement le système limbique, c’est-à-dire la partie du cerveau associée aux émotions, due à son anatomie. Selon elle, lorsqu’on ressent certaines émotions fortes, notre cerveau les associe avec les choses qui nous entourent à ce moment précis. La psychologue donne comme exemple la période des fêtes, qui peut nous permettre d’associer l’odeur de la dinde et de la tarte aux pommes à un grand sentiment de joie.
« Il y a effectivement un lien très privilégié entre les odeurs, les souvenirs et les réminiscences », confirme l’ancien professeur. Il indique que le sens de l’odorat est celui qui possède les connexions les plus fortes avec les zones du cerveau qui analysent les émotions. Lavoie développe que « les évènements qui prennent place en présence d’odeurs fortes ont tendance à évoquer des émotions encore plus intenses que les évènements qui ne sont pas associés à des odeurs et de la musique forte ». C’est ce qui explique que certains souvenirs soient plus puissants que d’autres, poursuit-elle.
Kazakov croit que tenter de distinguer la nostalgie comme étant positive ou négative est une erreur. « Chaque expression de la nostalgie est toujours simultanément positive et négative », énonce-t-il. Ce dernier pense qu’il est plaisant de se remémorer de bons souvenirs, malgré la tristesse ressentie du fait que ces évènements soient désormais dans le passé et hors de portée. « C’est à la fois une douleur et une douceur », spécifie-t-il.
Une émotion bien utile
Cappeliez informe que ce lien fort entre l’odorat et la nostalgie est parfois utilisé auprès de personnes touchées par l’Alzheimer. « Même lorsque le cerveau est atteint, comme par cette maladie, c’est un système qui semble être mieux préservé dans sa connexion entre les sens et les souvenirs », partage-t-il. Le psychologue ajoute que c’est un lien qui a beaucoup de potentiel et qui est très intéressant puisqu’il permet de contourner les obstacles des mots et d’aller directement aux « choses purement sensorielles ».
Kazakov souligne que : « S’il y a un sentiment de nostalgie qui peut garder à l’abri les rythmes de la vie passée, c’est parce qu’on ne les éprouve plus. » Ainsi, il considère qu’il est particulièrement important de « protéger ces liens sensoriels ». Selon lui, ces derniers peuvent s’affaiblir si on n’y porte pas attention. L’étudiant au doctorat soutient que nous vivons dans une ère où nos sens sont constamment bombardés, ce qui cause un certain sentiment d’aliénation au monde.
« Les réseaux sociaux semblent nous connecter à un certain degré, mais ils nous séparent aussi », affirme Cappeliez. Ce dernier estime donc que nous avons des vies plutôt isolées et qu’il peut être difficile de trouver notre identité. « Les réminiscences peuvent contribuer à nous donner de meilleurs sentiments, une certaine identité et une signification à nos vies », selon lui. Elles permettent, pour l’ancien professeur, de relier des générations et des individus ensemble puisque des souvenirs d’une même époque peuvent être partagés. Ainsi, c’est aussi un outil social puissant, ajoute-t-il.
Du 21 au 24 août 2024 aura lieu le Festival de musique Nostalgia près du centre-ville d’Ottawa. Il sera possible d’y entendre des morceaux à succès des années 70, 80 et 90.