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Angela Davis à l’Université d’Ottawa : Réexaminer notre pouvoir quant à la création de changement

Camille Cottais
10 mars 2022

Crédit visuel : Nisrine Nail – Directrice artistique

Article rédigé par Camille Cottais – Cheffe du pupitre Actualités

Angela Davis est une écrivaine, professeure et militante américaine ayant contribué à la pensée féministe, antiraciste et anticarcérale. Elle était l’invitée lundi dernier de l’événement virtuel « Réexaminer notre pouvoir quant à la création de changement », durant lequel elle a discuté des mouvements abolitionnistes, de la solidarité collective, ou encore du rôle des acteur.ice.s juridiques dans les mouvements pour la justice sociale.

La discussion fut animée par deux étudiantes en droit à l’Université d’Ottawa (U d’O) : Jaiscelle Aristorenas, co-présidente de l’Association des étudiant.e.s noir.e.s en droit à l’Université d’Ottawa (AÉND) et Michelle Liu, vice-présidente de l’Association des étudiant.e.s 2SLGBTQ+ en droit (OUTLaw). Il s’agit des deux mouvements ayant co-organisé l’événement.

Interrogée par Aristorenas sur la façon dont elle se décrirait à quelqu’un qui ne la connaît pas, Davis s’est dit profondément désintéressée par la promotion de sa personne. « Je suis davantage intéressée par l’aspect collectif de notre quête pour la liberté », a-t-elle affirmé.

Davis rappelle qu’elle a fait partie du mouvement Black Panthers et du Parti communiste américain. Elle affirme que la campagne de libération des prisonnier.ère.s politiques de la fin des années 60 lui a sauvé la vie. En effet, lorsque Davis fut arrêtée et accusée de crime capital au début des années 70, un important mouvement mondial fut organisé pour sa libération, avec succès.

Le mythe de l’individualisme

Comment promouvoir la solidarité collective dans une société qui favorise l’individualisme ? C’est la seconde question que posa Aristorenas à Angela Davis. Le capitalisme entretient en effet l’idée que nous sommes avant tout des individus, que les individus sont l’unité de base de notre société, explique Davis. Il promeut par exemple l’idée que le racisme, l’homophobie, la transphobie ou la misogynie sont des défauts individuels, des failles des individus, plutôt qu’une partie de la composition structurelle de nos institutions, affirme la conférencière. Il faut selon Davis déconstruire ce « mythe de l’individualisme » promu par le capitalisme.

Aristorenas a expliqué qu’on observait depuis quelques années un changement dans le langage utilisé pour décrire les expériences de violence coloniale et de racisme. Davis a pris l’exemple du terme de racisme structurel pour illustrer ce phénomène. Selon elle, les militant.e.s antiracistes parlent de racisme structurel depuis des décennies sans que la notion ne soit prise au sérieux. Le racisme était toujours conçu, continue-t-elle, comme une question d’individus racistes, de qui est raciste et qui ne l’est pas.

Cependant, dernièrement, l’impact désastreux de la pandémie sur les peuples autochtones et les personnes racisées, tout comme le lynchage public de George Floyd par la police et le meurtre de Breonna Taylor, ont mis en exergue la question du racisme structurel. « Les gens ont commencé à comprendre que le racisme n’est pas une question fondamentalement liée à l’individu, mais plutôt aux systèmes et aux institutions », a-t-elle affirmé.

Ce mythe du racisme comme un acte moral individuel est selon elle encore une fois lié à l’individualisme capitalisme. Cela s’exprime également dans la façon dont les militant.e.s combattent les violences racistes de la police : « Nous avons presque toujours demandé à traduire l’individu en justice, à punir individuellement la personne ayant exercé la violence. Pourtant, il y a tellement de problèmes structurels qui méritent notre attention, bien plus que les individus qui ont commis l’acte ».

Droit et justice sociale

Selon Davis, les étudiant.e.s aspirant à devenir des professionnel.le.s du droit doivent apprendre le droit, mais également rester critiques envers celui-ci. L’individualisme est profondément ancré dans le droit, affirme Davis : « Je ne peux pas beaucoup parler du droit canadien, mais je peux dire qu’aux États-Unis, le sujet de droit est toujours individuel. Le sujet de la loi est représenté d’une manière qui est abstraite de l’histoire et des déterminants raciaux et de genre. »

De plus, elle déplore que nous appréhendions difficilement le lien entre ce qui se passe dans la salle d’audience et dans la société. Nous postulons que la loi détermine ce qui se passe dans le monde social, or le contraire est également vrai : « Les changements historiques, les actions collectives, l’émergence de nouvelles idées donnent l’impulsion nécessaire pour créer des changements juridiques. » Davis mentionne à cet égard les mouvements autochtones du Canada, grâce auxquels la loi a changé. 

Une étudiante en droit a demandé à Davis comment les futur.e.s avocat.e.s pouvaient naviguer dans un système juridique oppressif, tout en luttant simultanément pour des formes de justice plus égales. Sur ce point, Davis pense que les approches féministes peuvent être utiles. Elle précise qu’elle entend par ce terme un féminisme antiraciste et anticapitaliste, qui « nous aide à développer des méthodes de lutte qui impliquent l’exploration du rôle potentiellement productif des contradictions ».

Une autre contradiction pourrait être selon Davis celle d’étudier ou de travailler à l’université, une institution qu’elle juge conçue pour reproduire le système capitaliste, tout en militant contre celui-ci. Ces contradictions peuvent être des sources de changement, explique Davis, et il ne faut donc pas nécessairement embrasser pleinement un côté ou l’autre, mais plutôt explorer l’espace de ces tensions.

Activisme mainstream vs activisme radical

Davis a affirmé se méfier de l’ancrage du militantisme politique dans des identités données. Selon elle, cela peut pousser les militant.e.s dans des directions qui ne sont pas toujours progressistes et radicales. Elle indique qu’il faut au contraire inscrire les expériences individuelles dans un contexte politique plus large, « car les identités en elles-mêmes ne sont pas nécessairement suffisantes pour mener un activisme radical ».

Par exemple, les mouvements LGBTQI+ mainstream ont selon elle plaidé pour l’assimilation en exigeant l’égalité du mariage. « Je ne veux pas dire que le droit au mariage n’est pas important, mais je m’intéresse davantage aux critiques radicales de l’institution du mariage et de ses racines dans la suprématie blanche et masculine », argumente-t-elle.

Réformisme ou abolitionnisme

Angela Davis est l’une des grandes représentantes du mouvement abolitionniste, qui plaide pour l’abolition du système carcéral, et non seulement la réforme de celui-ci. Elle avance tout de même durant la conférence que toutes les réformes ne sont pas à remettre en cause. « Dans les cercles abolitionnistes, nous distinguons les “réformes réformistes”, celles qui rendent les institutions plus fortes, et les “réformes non-réformistes”, qui aident à rendre la vie plus viable pour celleux qui sont en prison », différencie-t-elle.

Elle soutient néanmoins que la plupart des réformes « servent de colle pour maintenir en place les structures racistes de l’emprisonnement ». Il y a cette tendance historique, avance-t-elle, à critiquer les institutions mais aussi à y revenir, en supposant toujours que les problèmes peuvent être résolus en les réformant. « Mais et si des forces comme le racisme, la misogynie, la transphobie, étaient si fortes qu’il était impossible de les extraire des institutions sans que celles-ci ne s’effondrent ? », nous interpelle-t-elle.

Davis rappelle également que pendant l’esclavage, des personnes ont avancé les mêmes arguments pour réformer l’esclavage plutôt que de l’abolir, soit que des formes plus humaines d’esclavage étaient possible, que les maîtres pouvaient être contraints à être plus compatissants, etc. « Bien sûr, on a fini par reconnaître que ces arguments n’avaient aucun sens, car toutes ces questions étaient au cœur même de l’institution », tout comme le racisme est au cœur du système carcéral. Il en va de même, selon elle, tant pour la police que pour les prisons.

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