Michel Jean : « Tant qu’il n’y a pas de consensus sur la vérité, on ne peut pas commencer la réconciliation »
Crédit visuel : Julien Faugère — Courtoisie
Entrevue réalisée par Hai Huong Lê Vu — Journaliste
Le Mois national de l’histoire autochtone touche à sa fin. Pour clore celui-ci, La Rotonde s’est entretenue avec Michel Jean, journaliste et écrivain originaire de Mashteuiatsh. Figure de la littérature autochtone à l’échelle canadienne et internationale, il dévoile les réalités sociopolitiques vécues par les Premières Nations, les Inuit et les Métis au Canada.
La Rotonde (LR) : Que signifie le Mois national de l’histoire autochtone pour vous ?
Michel Jean (MJ) : C’est une période qui met en lumière les communautés autochtones et leur culture. Elles sont très peu présentes dans l’espace public et dans les médias. De plus, leur histoire n’est presque jamais enseignée dans les livres. C’est donc une occasion de redonner sa place à cette population.
LR : Comment vous engagez-vous pour votre communauté à travers votre carrière ?
MJ : La littérature, c’est la liberté d’expression et de ressentis. Ça, pour moi, c’est précieux ; c’est ma façon de parler des enjeux auxquels font face les peuples autochtones sans être militant. Je présente simplement les faits et je laisse le ou la lecteur.ice se faire sa propre opinion.
Par conséquent, je ne me soucie pas de savoir si on apprécie mes textes ou non. Je vais plutôt écrire sur ce qui est important pour moi, comme la sédentarisation forcée des Autochtones. Par exemple, Qimmik est un roman traitant du massacre de chiens nordiques et de ses répercussions sur la communauté inuit.
LR : Quels défis sont selon vous rencontrés par les auteur.ice.s autochtones aujourd’hui ?
MJ : Il faut d’abord régler les conséquences intentionnelles et intergénérationnelles qui pèsent sur plusieurs communautés. Si on veut commencer à courir, il faut d’abord savoir marcher. Le premier défi que doivent relever les communautés autochtones consiste à faire reconnaître leur place, leurs droits et ce qui leur est arrivé. Elles doivent aussi obtenir la reconnaissance du traumatisme subi par ces populations et de ceux et celles qui en portent la responsabilité. Cela permettrait d’expliquer certaines situations problématiques observées dans différentes collectivités.
Le deuxième obstacle concerne la difficulté à arriver à une véritable réconciliation. Plusieurs personnes refusent toujours de reconnaître les droits des Autochtones ainsi que la validité des traités qu’ils.elles ont conclus. De plus, elles remettent encore en question l’existence des pensionnats et de leurs effets néfastes.
LR : Quels sont les obstacles pour atteindre cette fameuse « vérité et réconciliation » ?
Lorsque l’on évoque le terme de la vérité et de la réconciliation, il est essentiel de comprendre le sens profond du mot « vérité ». Pour moi, on en est encore à l’époque d’établir la vérité. Tant qu’il n’y a pas de consensus sur la vérité, on ne peut pas commencer la réconciliation. Ce n’est pas normal, par exemple, que le gouvernement soit obligé de créer une loi interdisant la remise en question de l’impact des pensionnats autochtones : ça devrait aller de soi !
Souvent, les peuples autochtones ne sont pas bien compris. Ils ont besoin que la société soit bienveillante envers eux. Par exemple, les personnes autochtones ont tendance à être plus silencieuses et à parler moins que les autres. Lorsqu’on discute avec un aîné, il y a des périodes de silence ; il faut les respecter. Les gens ont souvent tendance à interpréter le comportement des Autochtones ou leurs attitudes sans en comprendre la raison. Ils doivent accepter que ces personnes fassent partie d’une culture différente, qui a ses propres façons d’être depuis longtemps.
C’est drôle, parce que j’étais en train de parler avec une amie qui travaille présentement sur le scénario de mon roman Qimmik pour une éventuelle série télévisée. Elle me racontait avoir de la difficulté à expliquer certaines choses aux producteur.ice.s. Par exemple, ils et elles voulaient rendre le personnage principal, Apo, plus réactif. Or, les gens ont de la difficulté à comprendre que ce n’est pas comme ça que cela se passe.
Actuellement, pour ma part, être autochtone au Québec est plus difficile, car certain.e.s Québécois.es ne tolèrent pas certaines pratiques. Ce ne sont pas les Québécois.e.s eux.elles-mêmes qui sont racistes : je crois plutôt qu’ils et elles sont très ouverts d’esprit. Cependant, en ce qui concerne la question autochtone, il subsiste une méconnaissance qui complique les choses. Par exemple, au Québec, nous sommes incapables d’effectuer une reconnaissance territoriale avant une réunion publique, contrairement à ce qui se fait partout ailleurs au pays. Pour moi, c’est un problème.
LR : Qu’espérez-vous des jeunes pour combattre ces enjeux ?
MJ : Quand on fait confiance aux jeunes et qu’ils.elles savent que la majorité d’entre eux.elles vont voir les choses différemment, cela peut avoir un impact important sur l’opinion publique. Ce changement d’opinion est possible par l’intermédiaire des livres. On peut donc changer le monde, un livre à la fois. Il faut être patient.e.s.