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Sports et bien-être

Calculer le bien-être d’une population : un casse-tête à plusieurs variables

Lucy Malaizé
4 avril 2024

Crédit visuel : Nisrine Abou Abdellah — Directrice artistique

Article rédigé par Lucy Malaizé — Cheffe du pupitre Sports et bien-être

Seule variable mesurée partout de la même façon, le calcul du produit intérieur brut (PIB) permet aujourd’hui de comparer plus de 200 pays. Afin de dépasser les conclusions tirées de ce seul indicateur, le projet des indicateurs du bien-être au Québec a développé une cinquantaine d’indicateurs, répartis en trois pôles. Le but de cette étude était au départ de mener une étude de fond sur le bien-être de la population québécoise, rapportée à la population canadienne.

Pour François Delorme, professeur à l’Université de Sherbrooke et participant à ce projet, il ne s’agit pas d’augmenter sans cesse le nombre d’indicateurs, mais d’en avoir des fiables, qui communiquent entre eux et retracent une évolution. « Là où autrefois, on n’observait qu’à travers le prisme du PIB, on compose aujourd’hui avec l’utilisation d’un triangle, accueillant les volets social et environnemental », déclare-t-il.

Limites du PIB et élaboration de nouveaux indicateurs

Mathieu Lizotte, professeur de sociologie à l’Université d’Ottawa (U d’O), rappelle que le PIB est un indicateur permettant de comparer rapidement la puissance économique des pays en quantifiant la valeur totale de la production de richesse annuelle à l’intérieur d’un pays. Le chercheur en inégalités économiques et sociales précise qu’il est devenu pratique courante d’utiliser le PIB comme une approximation du bien-être, bien qu’il n’ait jamais été conçu comme tel. Il explique que le PIB est limité, puisqu’il ne tient pas compte du taux de pauvreté, de la répartition des revenus, du travail domestique non rémunéré ou encore de la pollution de l’environnement. Delorme donne un exemple : « Si je construis une usine qui pollue et rejette des pesticides, au niveau du PIB, j’ai un impact positif, puisque je crée des emplois — pourtant, l’air devient toxique. »

En réponse aux défaillances et insuffisances de cette donnée, Lizotte indique que d’autres indicateurs du bien-être ont été développés, comme l’Indice du développement humain (IDH) et l’Indice de progrès véritable (IPV). Encore trop peu connus selon le professeur de l’U d’O, ces indicateurs ont eux aussi leurs limites. « D’emblée, il faut reconnaître qu’il n’est tout simplement pas possible de résumer l’ensemble du bien-être d’une société avec un seul indicateur, car le bien-être est un phénomène multidimensionnel », affirme Lizotte. « La démarche à prendre est de se familiariser avec les nouveaux indicateurs, afin de reconnaître lequel est le plus approprié selon le contexte », estime-t-il.

Quels défis ?

Delorme revient sur les défis de calculer certains indicateurs sociaux comme la santé mentale : « Bien que la mesure de cet indicateur soit basée sur des sondages faits par Statistique Canada, ces informations restent fondées sur une perception et en conséquence, sont des données plus friables que d’autres. » Le professeur constate la détérioration globale de la santé mentale pendant et après la pandémie, mais revient sur le fait que cette donnée reste limitée, car elle ne permet pas de saisir la complexité d’une situation.

Pour le professeur, un autre exemple d’informations difficiles à obtenir s’observe à travers le cas de l’itinérance : « On ne sait pas combien d’itinérants il n’y a, ni au Québec, ni à Montréal, ni au Canada, et c’est un gros problème pour mettre en place des mesures adéquates. » En plus des données fluctuantes, un autre écueil, selon le professeur, réside dans le fait de s’appuyer uniquement sur le levier du salaire minimum pour éviter les problématiques d’itinérance ou assurer la réinsertion après coup. « Il est plus que nécessaire de savoir à quel point ces personnes sont dans une situation mentale critique. Or, cette donnée est plus fastidieuse à évaluer », conclut-il.

Selon Delorme, l’un des problèmes majeurs s’est posé en matière de calcul du bien-être environnemental. Les Indicateurs du bien-être au Québec travaillent à partir de sources statistiques officielles et non de sondages, afin de minimiser les risques de subjectivité. « Tandis que les agences statistiques disposaient de beaucoup de données relatives à l’économie telles que le taux de chômage, il y avait de nombreuses lacunes s’agissant de biodiversité », indique Delorme. Le chercheur précise qu’ils ont dû demander l’évaluation de données relatives à la faune et la flore ou encore à la mobilité durable. Il déplore en outre que les agences statistiques ne s’intéressent pas suffisamment à certains autres facteurs de bien-être importants, comme l’accès à la culture.

Voir au-delà des données

Au terme de l’étude comparative du bien-être de la population canadienne, le Québec s’est hissé à la première place. En avance sur le volet environnemental, Delorme considère que ce résultat démontre juste que le Québec est le « moins mauvais élève de la classe du Canada ». Malgré quelques évolutions sur le volet social, le professeur estime que les données relatives à l’endettement des ménages, au niveau de santé mentale ou encore à l’émission de gaz à effet de serre sont préoccupantes.

« Établir ces indicateurs ne sert pas juste à fixer des données : l’idée est que ces indicateurs entrent dans la conception et les critères de décision des politiques publiques », soutient Delorme. Le professeur souligne que la création d’emploi reste bien souvent le facteur décisionnel le plus important, au détriment des considérations environnementales. Le problème pour lui réside dans le fait que l’objectif du Québec se limite à combler l’écart de richesse avec l’Ontario, au travers d’une vision centrée sur le PIB. Pour le professeur, le Canada gagnerait à se comparer à d’autres pays, tel que la Nouvelle-Zélande, dont les décisions politiques sont prises au moyen d’une approche plus holistique.

En septembre 2023, Statistiques Canada a publié un rapport sur son utilisation de l’intelligence artificielle s’agissant de faciliter la collecte et l’analyse des données. Bien que l’organisme déclare continuer d’explorer cet outil, l’augmentation des métadonnées peut laisser présager un traçage de données plus facile et rapide à l’avenir, et ainsi, une amélioration du calcul des indicateurs bien-être.

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